samedi 13 décembre 2008

Jean-Pierre Raffarin et Dominique Bussereau dans les pas d’Aliénor d’Aquitaine ?


Alors qu’il est question de renforcer les territoires en les rendant plus “cohérents” géographiquement, l’idée de Jean-Pierre Raffarin et de Dominique Bussereau de réunir les régions Poitou Charentes et Aquitaine suscite de nombreuses réactions. Les uns sont totalement favorables au projet, les autres carrément opposés. Pendant ce temps-là, on oublie la crise et la baisse du pouvoir d’achat...


Vendredi après-midi, Dominique Bussereau avait convié les journalistes à une conférence de presse. Quoi de plus naturel à la veille de la prochaine session, direz-vous ! Cependant, afin que la presse soit suffisamment étoffée, Marielle Weiss, attachée de presse du Conseil Général, avait annoncé une nouvelle importante. Personne ne sachant de quoi il s’agissait, plusieurs hypothèses furent avancées en l’attente du Président, des travaux autoroutiers au prix de l’essence qui serait, en Charente-Maritime, l’un des moins chers.
En réalité, le “scoop” concernait une lettre qu’ont envoyée Dominique Bussereau et son frère spirituel, Jean-Pierre Raffarin, à Nicolas Sarkozy. Dans le cadre des grandes réformes de l’État, ils lancent l’idée de rapprocher les régions Poitou-Charentes et Aquitaine. Alain Rousset (PS) serait sûrement flatté de côtoyer Ségolène Royal, l’une des femmes les plus décidées de France, mais est-ce vraiment l’objectif que recherchent J.P. Raffarin et D. Bussereau qui espèrent - ce n’est pas un secret - voir “la dame de fer” quitter Poitiers...

Que dit cette fameuse lettre ?

Le premier passage de ce courrier est débordant de vérités. Dominique Bussereau et Jean Pierre Raffarin y dénoncent « La complexité de l’administration locale, avec un empilement de niveaux, un enchevêtrement de compétences et une multiplication de moyens qui peuvent parfois nuire à la clarté du principe économique et techniquement au meilleur rapport coût/efficacité que les citoyens sont en droit d’attendre ». Un rapport de l’Assemblée Nationale sur le trop grand nombre de collectivités “gloutonnes” abonde dans le même sens. Il y a cependant un détail. Jean-Pierre Raffarin, qui fut Premier Ministre, semble faire preuve d’amnésie puisqu’il est à l’origine des dernières lois de décentralisation qui donnèrent un pouvoir accru à la “France d’en bas”... En oubliant qu’elles alourdiraient la fiscalité locale. En effet, plus les Départements ou les Communautés de communes ont de compétences et de personnel à assumer et plus leurs besoins en trésorerie sont importants.
La solution la plus facile est alors d’augmenter les impôts, les contribuables étant placés devant le fait accompli. Bien que spécialiste de la vache à lait (il préside l’association centrale des laiteries coopératives Charentes-Poitou dont le siège est à Surgères), n’accablons pas Jean-Pierre Raffarin dont l’objectif était d’offrir, à l’époque, une marge de manœuvre aux décideurs locaux.
« Conscients du potentiel exceptionnel du Poitou Charentes et de l’Aquitaine », Dominique Bussereau et Jean-Pierre Raffarin prêchent donc une fusion à titre d’expérimentation : « La création d’une grande entité du Sud Ouest reposerait sur la complémentarité des territoires depuis l’Espagne jusqu’au Nord de la Vienne. Elle s’enrichirait du renforcement mutuel des territoires appelés à travailler ensemble avec leurs universités, leurs écoles et leurs recherches scientifiques ». S’y ajoute le secteur économique (aéronautique, secteur agro-alimentaire, vins et spiritueux) qui pourrait constituer « une véritable force de frappe ».
Et de poursuivre : « Cohérente en interne, une telle configuration le serait aussi vis-à-vis de l’extérieur par la mer avec les deux grands ports, Bordeaux et La Rochelle, par le rail renforcé par la future ligne TGV Sud Europe Atlantique et par l’air avec l’aéroport de Mérignac relayé par la qualité croissante des dessertes routières ». Le souhait de ces deux personnalités est de voir émerger « Un espace fort d’une identité et d’une puissance d’action au cœur de l’Arc Atlantique. Généralisée, cette proposition permettrait de rentabiliser sur le terrain l’économie des territoires en divisant par deux le nombre des régions ».


En conclusion, que penser de cette proposition ? Cette perspective est défendable d’un point de vue géographique et historique. On renouerait ainsi avec une vaste Région qui rappellerait la glorieuse époque d’Aliénor d’Aquitaine. En effet, elle possédait (entre autres) tout le grand Sud Ouest avec le comté de Poitou et le duché de Guyenne. Toutefois, l’eau a coulé sous les ponts depuis le XIIe siècle et les enjeux ont évolué !
Informé des intentions des élus UMP, Alain Rousset, président de la Région Aquitaine, a déclaré sa surprise, tout en regrettant que les Régions n’aient pas été conviées à l’élaboration du plan de relance économique initié par Nicolas Sarkozy.
On peut y voir également une stratégie pour reprendre la direction du “fief” Poitou-Charentes, que Ségolène Royal a ravi à Jean Pierre Raffarin. Par ailleurs, l’union des Régions ne peut se faire que si les élus s’accordent politiquement, idéologiquement et sont prêts à partager, certaines zones étant plus prospères.
D’autres questions se posent, d’ordre pratique : si le projet aboutit, quel sera le nombre de conseillers régionaux et de vice-présidents ? Comment sera nommé le ou les présidents ? Puisque la réduction des dépenses publiques apparaît en filigrane, où s’opéreront les délestages ? Personne n’abandonnera son poste sans grincement de dents...
Jean-Pierre Raffarin et Dominique Bussereau pourraient-ils être à l’origine d’un conflit entre Poitevins, Saintongeais et Girondins ? En tout cas, ils ont réussi leur coup. En cette période de fêtes où l’actualité est peu animée, ils offrent un excellent sujet de conversation !
Ils sèment le vent, récolteront-ils la tempête ?

• Réaction à cette annonce avec Maryse Guédeau, responsable du journal Xaintonge.

Maryse Guédeau qui, à la tête du Collectif pour la défense de l’Identité saintongeaise, a obtenu la reconnaissance du patois charentais «Langue de France», c’est-à-dire son maintien dans son domaine linguistique et historique propre qui n’est « ni picton, ni gascon » dit-elle, répond à nos questions sur la proposition Raffarin - Bussereau. Spécialiste en droit constitutionnel, elle est la fondatrice du magazine Xaintonge.


Que pensez-vous du rapprochement des régions Poitou-Charentes et Aquitaine ?

Cela faisait longtemps que l’on n’avait pas assisté en Charente Maritime à un exercice de pure politique politicienne. Ce n’est un secret pour personne, J.P. Raffarin et D. Bussereau sont des vieux routards de la politique qui ont fait leurs armes sous la présidence de V. Giscard d’Estaing. Et on les sait particulièrement nerveux depuis que Ségolène Royal, en passant par les Deux-Sèvres et le scrutin de liste, a basculé à gauche le Conseil Régional de Poitou-Charentes, fief même de Jean-Pierre Raffarin alors qu’il était parti présider aux destinées de la France à Matignon. Annoncée comme devant servir un meilleur fonctionnement administratif territorial, cette fusion Aquitaine-Poitou-Charentes fait davantage figure de la dernière idée de deux copains de longue date pour chapeauter Ségolène Royal à défaut d’avoir réussi à l’éliminer du paysage politique régional.

Pour vous, il s’agirait d’un calcul, en somme ?

Disons, un calcul visible. Le problème est que M. Raffarin, qui a été écarté de la présidence du Sénat, n’arrive pas retrouver un poste à la hauteur de sa dimension nationale. C’est un homme politique jeune encore, il en veut toujours comme on dit.
Il se sent légitime en Poitou-Charentes car S. Royal n’est pas originaire de la région, ce n’est pas une élue de terrain. Elle peine à s’imposer au plan local, même dans son propre camp, mais elle est portée par les médias. Et ses dernières “désaventures” à la tête du PS qui la présentent de plus en plus comme une victime du système, ne sont pas pour l’écarter des urnes futures. En concevant une nouvelle structure administrative qu’il pourrait présider, J.P. Raffarin, soutenu par son vieil ami D. Bussereau, se projette ainsi dans une nouvelle fonction avec une nouvelle assise territoriale qui lui évite un choc frontal avec celle qui est devenue, pour lui, incontournable. Mais au-delà du jeu politicien, la question est surtout de savoir si cette fusion peut passer.

Pourriez vous être plus explicite ?

On a déjà vu prendre corps des idées politiques alambiquées pour éliminer son adversaire. Ce sont surtout les réactions du camp opposé à ces idées qui les font se concrétiser. Sous François Mitterrand, souvenez-vous des changements de scrutin pour gagner des élus socialistes qui ont entraîné, sitôt l’alternance, le redécoupage de la carte électorale avec Charles Pasqua! En Charente-Maritime, cet exercice a conduit d’ailleurs à la création d’un siège de député sur mesure pour Dominique Bussereau, parachuté par les Giscardiens parisiens, et qui n’arrivait pas à s’implanter. En politique, il arrive souvent que les effets des réactions en chaîne conduisent à la situation contraire des intentions premières. Ainsi, comment J.P. Raffarin pourrait-il plaider aujourd’hui pour que Bordeaux domine Poitiers parce que de Poitiers, il veut que Ségolène Royal s’en aille ? Or, J.P. Raffarin est profondément Poitevin. Il est né à Poitiers, a été scolarisé dans cette ville, il a dirigé la Région Poitou-Charentes de Poitiers : il ne peut avoir qu’un réveil difficile si sa très chère ville perd sa suprématie.
Une chose est sûre, c’est que cette proposition de fusion expérimentale, qui fait figure de pavé dans la mare, est la confirmation d’un futur redécoupage administratif de la France, déjà annoncé dans le rapport de Jacques Attali qui parlait, quant à lui, de la suppression des départements. Dans ce jeu politique entre les socialistes favorables aux Régions au motif qu’ils les dirigent et veulent renforcer leur pouvoir et les élus de l’UMP qui rêvent à d’autres structures pour mieux casser ces Régions qui les excluent, on se met à espérer que l’avis des Français sera demandé. Car nombreux sont ceux qui ne se reconnaissent pas dans les Régions, dont ils ne connaissent même pas le nom des élus, ni où se tiennent leurs permanences.
Alors, que pourrait être une supra-région comme la Région Aquitaine-Poitou-Charentes ? Mais, côté saintongeais, voilà de beaux jours en perspective. Finie la pression des intellectuels de Poitiers qui voulaient draper le monde d’un « Entre Loire et Gironde » : ils vont devoir plancher avec les Girondins sur un « Entre Adour et Loire » et inventer le poitevin gascon, à moins que ce ne soit le gascon poitevin pour se trouver un bassin de vie identitaire ! Car si l’idée de MM. Raffarin et Bussereau fait son chemin, les combats vont être féroces entre la capitale de l’Aquitaine et celle du Poitou pour imposer à l’autre son référent culturel. Occasion pour les Charentais de retrouver leur route inscrite dans ce vieil adage : « Pour aller de La Rochelle à Angoulême, pas besoin de passer par Bordeaux, et encore moins par Poitiers »...

Infos en plus :

• Les deux Régions en chiffres : Le Poitou Charentes, composé de la Charente, la Charente Maritime, les Deux Sèvres et la Vienne, a un budget de 685 millions d’euros. La Région Aquitaine qui comprend la Dordogne, le Lot-et-Garonne, la Gironde, les Landes et les Pyrénées Atlantiques dispose d’un budget plus élevé, de l’ordre de 1116 millions d’euros.

• Pour Dominique Bussereau, cette fusion donnera une vraie dimension européenne aux deux régions. Il souhaite que le socialiste Alain Rousset, « président de la Région Aquitaine, ouvert et intelligent », tende une oreille attentive à cette proposition. Elle s’inscrit dans le cadre d’une modernisation de l’Etat dont les conclusions seront rendues lors du premier trimestre 2009. Si des changements interviennent, les élections régionales pourraient être repoussées de 2010 à 2011.

Photo 1 : Dominique Bussereau à la rencontre des journalistes.

Carte 2 : En fusionnant le Poitou-Charentes et la Grande Aquitaine à titre expérimental, Dominique Bussereau et Jean-Pierre Raffarin renoueraient avec les territoires que possèdait Aliénor d’Aquitaine. L’histoire de cette reine est intéressante. Après avoir épousé Louis VII, roi de France capétien, elle convola en justes noces avec le futur roi d’Angleterre Henri II (Plantagenêts). Aux deux, elle apporta successivement les possessions qu’elle avait en France. Et elles étaient importantes ! Elle est la mère de Richard Cœur de Lion.

Photo 3 : Maryse Guédeau.

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