vendredi 23 janvier 2009

Richard Bohringer, de la tribu des balafrés


Dans le marigot, il faut mordre, sinon t'es foutu. Faut faire semblant de dormir en restant éveillé. Question de vie ou de mort. Richard Bohringer, comédien, écrivain, africain, républicain, était à Thénac la semaine dernière où il dédicaçait ses ouvrages. Rencontre avec un homme qui ne cherche pas à plaire, mais qui aime bien qu'on l'aime...


Invité du salon du livre de Thénac, Bohringer est resté égal à lui-même, adorable et irritable. Sacré caractère. Moitié blanc, moitié noir, un pied à Dakar, un autre sur le bitume parisien. Le cœur dans la nuit, le regard en pleine lumière.
Il s'en fout, Bohringer, de ce que pensent les autres ? Pas tout à fait. Il faut l'apprivoiser et trouver les mots qu'il parle. Pas facile d'être sur la même onde que lui. La radio nasillarde a parfois du mal à trouver la station qui conduit à ses « bouts lambeaux », le titre de son dernier bouquin. « À vingt ans, je voulais écrire le plus beau des poèmes. Rimbaud avait déjà fait le boulot. Alors j'ai fracassé la vie, je voulais le jus divin, ce qui donne des ailes aux mots » dit-il. La barre était haute.
Il n'a pas envie de sonner faux, Bohringer, c'est pourquoi il ne garde jamais ce qu'il a sur le cœur. De la tribu des balafrés, il aime la franchise, celle qui explose à la figure, comme les bulles de malabar rose. Si tu la prends en pleine tronche, ça reste collé. Drôle de sensation !
« Je marche nu sur la terre » : ça, on savait déjà ! Ses révoltes, il les crie et les placarde sur la place publique. Il hausse le ton quand un détail l'énerve et ne se couche jamais avec un poids sur la panse. Récompense à ceux qui marchent dans la brousse comme il y a mille ans : même si le sentier est jonché d'épines, seule compte l'authenticité ou l'idée qu'il s'en fait. De l'ambiance, il faut qu'il s'imprègne et si l'air devient délétère, il prend le large.

Je préfère être à Thénac qu'à Saint-Tropez !

À Thénac, il est à l'aise : le contact avec les autres est un lien nécessaire. Présent dès samedi matin, il signe ses ouvrages et écrit des dédicaces pleines d'affection. Certains en profitent pour se faire photographier, prétextant anniversaire ou autre motif pour paraître à ses côtés !
Dans l'après-midi, il réunit devant lui un joli parterre. Comme sous l'arbre, quand les habitants s'assoient en cercle devant l'ancêtre du village pour l'écouter. Il commence fort en disant qu'il ne peut pas blairer les discours parisiens outrecuidants. Sa façon à lui de dire qu'il préfère être en Saintonge plutôt qu'à Saint-Tropez (en compagnie d'une BB superbe, serait-il aussi catégorique ?).


Il parle de l'Afrique qui l'a pris dans ses bras. «Êtes-vous un coureur de savane ?» demande François Souan. Bohringer hoche la tête. Il évoque des souvenirs qu'on retrouve dans son carnet illustré par Virginie Broquet.
Il a la double nationalité franco sénégalaise : « La situation s'est dégradée dans ce pays. Je suis lucide. On se croirait au Soudan, la famine y règne ». Cette réalité est éloignée du « jardin odorant et multicolore » que décrit un ambassadeur écrivain. « Je suis en colère quand je lis que les flots bleus clapotent. Ce sont ceux qui écrivent ça qui clapotent ! ». Par la même occasion, il s'en prend aux gouvernants, peu soucieux de la population misérable...
Françoise Souan le ramène à son pote Bernard Giraudeau à qui il a dédié « bouts lambeaux ». Ils partagent le même amour pour le continent noir. Il faut ajouter à ses « amis » Jimmy Hendrix et Jésus-Christ qui ont révolutionné le monde, l'un par la musique, l'autre en prêchant l'égalité entre les hommes. Françoise Souan fait des yeux ronds, ne sachant si c'est de l'art ou du cochon. C'est qu'il l'allume, l'invité !
Il poursuit en lisant des extraits de ses livres. Avec son talent de comédien, il captive la salle. Il évoque la souffrance, la maladie et ces maux que subit l'homme sans avoir rien demandé.
Il voudrait bien que les choses bougent, que les politiques soient moins cupides, que les glaïeuls blancs qui ornent les yachts soient remplacés par des fleurs des champs et que la fraternité devienne réalité. Loin du tape à l'œil, il a refusé la légion d'honneur : « J'ai dit au journaliste qui me demandait pourquoi, que je l'accepterai quand les harkis l'obtiendront avant les acteurs ». Et pan sur Jean Reno ! Il égratigne au passage Sarkozy et ses ministres sans Rollex - Boutin, Bachelot - qui l'agacent par leur indolente inertie.
Les questions du public le déconcertent un peu, celle relative à l'âme en particulier. Perplexe, il caresse un instant ses cheveux. C'est beau une ville, la nuit... Il répond avec pudeur, sans juger de la complexité du sujet. Il n'y a pas de spadassins dans les couloirs et personne ne veut le flinguer. Au contraire.
« Je veux écrire pour être avec les autres. Ceux que j'ai connus, ceux que je vais connaître. Ceux que je connaître jamais. Je veux écrire pour être meilleur humain, pour éviter la disgrâce » : telle est sa conclusion.


Info en plus

• Sénégal : Huit ans de prison pour homosexualité - La France et l'ONU réagissent

Récemment, la justice sénégalaise a condamné neuf homosexuels à huit ans de prison ferme pour «acte impudique, contre nature et association de malfaiteurs». N'oublions pas que le Sénégal est à majorité musulmane. L'affaire a fait grand bruit en France. Le président, Nicolas Sarkozy, s'est dit « ému et préoccupé par ce jugement ». Roselyne Bachelot, quant à elle, n'a pas caché son indignation. Elle a demandé à Bernard Kouchner d'intervenir auprès des autorités sénégalaises pour « obtenir la libération des prisonniers ». Associations de défense (Droits de l'homme, Amnesty, Sida) et ONG ont réagi de semblable façon.
De son côté, la diplomatie française n'est pas restée inactive. Elle a déposé à l'ONU une déclaration réclamant la « dépénalisation universelle de l'homosexualité ». Soixante six pays ont fait savoir qu'ils étaient favorables à cette décision.
Comme on le sait, l'Afrique est cruellement frappée par le sida. « Le Sénégal a beaucoup fait pour lutter contre l'épidémie et maintenir sa diffusion à un niveau relativement bas » souligne un responsable qui espère «une suite heureuse à ce procès qui devrait faire l'objet d'un appel».

Photo 1 : Samedi matin, Richard Bohringer commence sa séance de dédicaces.

Photo 2 : Richard Bohringer a animé une conférence samedi après-midi, sous l'œil attentif des photos «chinoises» de Nicole Bertin.

Photo 3 : Richard Bohringer : il n'a pas la langue de bois.

Aucun commentaire: