dimanche 10 octobre 2010

Ao, le dernier Néandertalien,
fait son cinéma !


Vendredi soir, l’Atlantic Ciné de Saintes (17) projetait le film de Jacques Maleterre, Ao le dernier Néandertalien. Le président du Conseil Général, Dominique Bussereau assistait à cette projection aux côtés de Jean-Jacques Hublin, directeur du département d’Évolution humaine à l’Institut d’anthropologie évolutive Max Planck de Leipzig en Allemagne.

Dominique Bussereau, Jean Jacques Hublin et Ao, version Saint-Césaire !

Les origines de l’homme sont peuplées d’incertitudes. Comment pourrait-il en être autrement ? L’immensité du temps et le manque d’éléments déterminants ne facilitent guère la compréhension. La Terre s’est formée il y a 4,6 milliards d’années : une broutille au regard de l’éternité, un gouffre pour nous ! Les chercheurs avancent pas à pas et la façon dont est enseignée la préhistoire évolue. Fini l’époque joyeuse où les écoliers riaient de leur ancêtre, le grand singe poilu. Désormais, ils savent que l’arbre de vie possède plusieurs rameaux. De Toumaï à l’Homo sapiens, le chemin parcouru a été long…

Que l’histoire de l’homme inspire un réalisateur n’a rien d’étonnant. Depuis plusieurs années, les documentaires - l’Odyssée de l’espèce ou le Sacre de l’homme - rencontrent un vrai succès auprès du public. Cette année, Jacques Malaterre est allé plus loin avec "Ao, le dernier néandertalien".
Il s’est inspiré d’une découverte faite à Saint Césaire, à la Roche à Pierrot, où les équipes des professeurs Lévêque et Vandermeersch ont mis au jour les ossements d’un néandertalien dans des couches de terrain où il n’était pas censé avoir vécu. Cette découverte eut un retentissement énorme dans les milieux scientifiques. En effet, le vieux Néandertal, l’une des branches de l’arbre humain, avait croisé l’homo sapiens : une vraie révolution !
Le film, actuellement projeté dans les salles, conte cette histoire particulière. Bien que lointaine, elle est aussi la nôtre, c’est pourquoi elle ne laisse pas indifférent. Ao a déjà été présenté en avant-première à La Rochelle et à Jonzac. Vendredi, il était à Saintes. Pourquoi cet engouement ? Tout simplement parce que le Conseil général a acheté les décors qui ont servi au tournage (cimetière de mammouths, tentes, peaux, outils, etc). On peut les voir au Paléosite de Saint-Césaire, centre interactif qui connaît une fréquentation croissante.

L’homme moderne a-t-il sonné le glas de Néandertal ?

Le film met en scène des jumeaux néandertaliens que le destin sépare, les clans s’échangeant des enfants selon leurs besoins. Ao quitte sa moitié et cette séparation le déchire. Il le sera à nouveau quand ses proches seront exterminés. L’intrigue repose sur le secours qu’il apporte à une femme “sapiens“ que ses congénères veulent sacrifier. Rassurez-vous, la fin est heureuse ! La dame fait fi des différences physiques et intellectuelles de son compagnon et leur bébé sera le chaînon manquant que voudraient trouver les chercheurs du monde entier ! En effet, si l’on admet un métissage, aucune découverte retentissante, sur le terrain, n’a appuyé cette thèse. Elle est venue des travaux menés au Max Planck Institute. En effet, Richard E. Green a démontré qu’une infime partie du génome humain proviendrait de celui des Néandertaliens (de l’ordre de 1 % à 4 % dans la partie non codante).


Lors du débat qui suivit, Jean-Jacques Hublin apporta une précision : il n’appartient pas au comité scientifique de ce film dont il ne cautionne pas tous les détails. Néandertal, par exemple, était cannibale. Or, le AO de Jacques Malaterre est dans l’air de notre temps, c’est-à-dire écolo !
Les échanges furent animés. Sortant d’Afrique, les Sapiens ont donc rencontré les Néandertaliens qui finirent par disparaître. Pourquoi ? Plusieurs hypothèses sont avancées : maladie, faible natalité, rivalité avec l’homme moderne. Cette éventualité est la plus réaliste : « Nous avons du mal à accepter que l’homme moderne ait éliminé Néandertal. Dire que les chasseurs-cueilleurs venus d’Afrique se sont comportés, toutes proportions gardées, avec les Néandertaliens comme les colons en Australie avec les Aborigènes, c’est politiquement incorrect. Et il y a beaucoup de politiquement correct dans la préhistoire » souligna le conférencier avec réalisme. Et d’ajouter : « L’homme moderne s’est répandu sur toute la planète et il a conduit à l’extinction les autres groupes humains et de nombreuses espèces de grands mammifères, dont l’ours des cavernes. Cette nouvelle espèce, c’est nous ! L’homme qui va dans la Lune ou qui extrait les dernières gouttes de pétrole est le même qui a commencé à exploiter son environnement de façon nouvelle, il y a 50.000 ans ».

L’homo sapiens, un prédateur ?

T'as le look, Ao...

Cette question n’est pas anodine. Notre éducation, dite humaniste, privilégie la place de l’homme dans la société. Étudier cet homme moderne en prenant du recul, à travers son comportement, conduit à une interprétation moins réjouissante. Il apparaît alors comme un formidable prédateur qui ne sait plus s’arrêter. Il peut tuer sa propre espèce sans état d’âme et s’est détaché de la nature qu’il cherche à dominer. D’où sa contrariété quand elle le rappelle à son bon souvenir (raz-de-marée, éruption volcanique, tremblement de terre). C’est alors que sa faiblesse l'accable et qu'il invoque des êtres supérieurs qui seraient à l’origine de sa création.

Jean-Jacques Hublin, avec son talent habituel, a ouvert une belle piste de réflexion sur le devenir de cette humanité qui joue, dans le secret de certains laboratoires, aux apprentis sorciers : « La sélection naturelle ne sera plus le seul moteur de l’évolution puisque l’homme est maintenant capable de manipuler son propre génome. On a du mal à envisager les conséquences d’un tel bouleversement. Dans le futur, il sera possible de séquencer le génome de tout être pour une centaine d’euros ».

Qu’ajouter de plus, sinon qu’on peut aller voir "Ao le dernier Néandertalien" en s’intéressant seulement à la préhistoire et à une histoire d’amour entre Ao et sa copine…

• L'info en plus


• Du néandertalien chez l’homme moderne

Publiée dans la revue Science, une étude réalisée par Richard E. Green, de l’Université de Californie, est arrivée à la conclusion qu’une infime partie du génome humain proviendrait de celui des Néandertaliens. Les chercheurs ont travaillé sur les ossements de trois Néandertaliens découverts en Croatie, dans la grotte de Vindija. La comparaison des ADN entre Néandertaliens et Hommes modernes a permis une constatation importante : les génomes des individus non africains sont beaucoup plus proches de Néandertal que ceux des Africains. Selon les estimations des chercheurs, « le fait que seuls les Européens et les Asiatiques actuels possèdent ce capital génétique néandertalien indique que les croisements ont dû se faire juste après que les premiers hommes sont sortis d’Afrique pour conquérir l’Eurasie, il y a approximativement 100.000 ans ».

• Dans le public, se trouvaient Virginie Teilhol et Vincent Armitano Grivel, responsable du Paléosite de Saint-Césaire en Charente-Maritime. Que de chemin parcouru depuis les silex repérés en 1975 par Bernard Dubigny, un habitant de Saint-Bris des-Bois, les premières fouilles en 1977 et la découverte des fameux ossements de Pierrette par une équipe de chercheurs en juillet 1979, dans une carrière appartenant à René Boucher, l’ancien conseiller général de Saint-Césaire !


• Longtemps, Néandertal, protégé par un immense glacier qui empêchait toute intrusion en Europe, a vécu en solitaire. Comment prit-il l’arrivée des “étrangers“ et une interfécondité eut-elle lieu entre les deux lignées ? On le suppose. Il y a quelques années, Erik Trinkaus a rédigé un rapport de six cents pages sur un enfant qui présentait, selon lui, des caractéristiques des deux “familles“.


• L’homme de Néandertal a disparu en même temps que son lointain cousin, l’homme de Java, il y a 25 000 ans environ. L’homme moderne, Sapiens, s’est imposé et ses “héritiers“ ont colonisé la terre. Néandertal est alors devenu une branche morte : « il s’agit d’un phénomène naturel » estime le paléontogue Yves Coppens. Selon les dernières datations radio-chronologiques, il aurait été présent dès - 400 000 ans.

Reportage/Photos N. Bertin

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