dimanche 5 février 2012

Les fleurs fossiles de Rochefort,
parmi les plus anciennes
au monde


• Avec Didier Néraudeau, paléontologue

La Charente-Maritime est une terre passionnante pour les paléontologues. Dans l’ambre opaque récolté dans une carrière d’Aunis, est apparue une matière inhabituelle qui faisait penser à du duvet. Suivirent des examens approfondis en laboratoire qui aboutirent à une conclusion fort intéressante : il s’agissait de plumes. En conséquence, les grands reptiliens d’antan avaient un rapport direct avec les oiseaux. Depuis, les découvertes touchent le monde végétal. En effet, toujours en Aunis, des fleurs fossiles, parmi les plus anciennes au monde, attirent l’attention des spécialistes.
Didier Néraudeau, professeur à l’Université de Rennes, raconte cette formidable aventure…



• L’univers de la paléontologie est en effervescence avec la découverte de belles fleurs fossiles datant de 100 millions d’années, non loin de Rochefort. Cette ville est connue pour ses bégonias. Dans le cas qui nous intéresse, de quelle espèce s¹agit-il et dans quelles conditions ont-elles été trouvées ?

Les fleurs fossiles trouvées dans la région de Rochefort sont parmi les plus anciennes connues au monde. Un gros travail d’analyse va être nécessaire pour leur attribuer une parenté botanique. Il est déjà possible d’envisager des liens avec des formes voisines de platanes ou de magnolias.
Ces fleurs fossiles sont récoltées de deux manières. Soit il s’agit de simples empreintes de fleurs imprimées dans des feuillets d’argile et elles sont alors prélevées avec l’argile qui les porte. Dans ce cas, il s’agit de fossiles plurimillimétriques visibles à l’œil nu, mais sans détails visibles.
Soit ce sont de minuscules boutons floraux “momifiés“ dans l’argile et préservés avec une partie de leurs tissus et tous leurs détails (pétales, étamines, etc). Ils sont récoltés avec lavage et tamisage de l’argile. Déformées par la compaction de l’argile, ces fleurs sont ensuite observées avec un scanner très puissant (microtomographe synchrotron) qui permet d’en faire des coupes virtuelles ou des reconstitutions éliminant la déformation.

Bouton de fleur fossile

• Est-ce à dire que ces fleurs pouvaient être “broutées“ par les dinosaures herbivores vivant dans les parages ?

Les dinosaures herbivores ne broutaient pas ! Il n’y avait pas encore d’herbe (donc de graminées) sur la Terre à l’époque des dinosaures. Ils consommaient uniquement les feuilles des grands conifères de type araucarias (les arbres qui ont, par ailleurs, fourni l’ambre des Charentes). Des feuilles qu’ils saisissaient jusqu’à la cime grâce à leur long cou. Quant aux fleurs, encore assez rares, elles devaient être associées à des arbres ou des arbustes, voire à des nénuphars en milieu aquatique, mais pas à une pelouse herbacée…

Les fleurs fossiles, trouvées près de Rochefort, permettent d’envisager des liens avec des formes voisines de platanes ou de magnolias

• Les gisements d'ambre sont nombreux en Charente-Maritime. Vous avez personnellement vécu une aventure exceptionnelle en Aunis en découvrant une faune d'insectes de 100 millions d¹années piégée dans de la résine. Où en sont vos recherches ?

Les recherches sur l’ambre charentais se poursuivent. Désormais, 70 chercheurs, issus de plus de quinze pays, y consacrent leur temps. En fonction de leurs spécialités, ils sont chargés d’étudier pour les uns, les blattes (un collègue tchèque), pour les autres, les coléoptères (une collègue espagnole) ou certaines petites mouches (un collègue libanais) ; pour d’autres encore, les araignées (deux collègues américains). Grâce à cette équipe internationale, nous progressons rapidement dans l’étude et nous en sommes déjà à près de 2 000 insectes ou arachnides récoltés. Plusieurs dizaines d’espèces, toujours inédites, ont déjà été baptisées en hommage à des personnes ou des localités charentaises.

Ainsi, la guêpe Guyotemaimetsha enigmatica et la mouche Proprionoglaris guyoti ont été dédiées à Thierry Guyot qui est biologiste à l¹Université de La Rochelle ; le grillon-taupe Marchandia magnifica évoque la famille Marchand qui exploite la sablière d'Archingeay-Les Nouillers ; la guêpe Protorhyssalodes arnaudi et la punaise Ambarcader eugenei rendent hommage à Eugène Arnaud de Sainte-Gemme, qui fut le premier à y collecter de l’ambre ; le charençon Gratshevbelus erici est dédié à Éric Dépré, de l'INRA de Surgères qui est le principal collecteur d’ambre de Charente-Maritime. La guêpe Aenigmabracon capdoliensis fait référence à Capdolium, nom latin de Cadeuil tandis que le nom de l’araignée Archaemecys arcantiensis dérive d’Arcantiatum, nom latin d'Archingeay.

Les découvertes les plus récentes sont deux formes ancestrales des termites, baptisées Santonitermes chloeae et Syagriotermes salomeae. Les genres font respectivement référence au peuple gaulois des Santons et au général romain Syagrius. Les espèces sont dédiées à Chloé et Salomé Dépré qui ont participé à la découverte de ces spécimens, en compagnie de leur père, Éric Dépré.

• Dans un précédent entretien, nous avions parlé du duvet qui poussait sur la peau de certains dinosaures (les ancêtres des oiseaux, dit-on). En sait-on plus à ce sujet ?

L’origine et l’évolution des plumes constituent un thème de recherche scientifique toujours d’actualité. Depuis la découverte de plumes primitives dans l’ambre charentais, les scientifiques du monde entier ont conjugué leurs observations pour décrire plus en détail l’évolution des écailles reptiliennes en duvet, puis en plumes. De nouveaux fossiles de dinosaures à plumes ont été trouvés en Chine. Chaque découverte est un argument supplémentaire qui confirme que les oiseaux ne sont que des dinosaures un peu particuliers. Finalement, nombreux d’entre nous consomment régulièrement du dinosaure et en fait même un mets de fête. Nous pouvons désormais sans hésitation réclamer notre dinosaure-frites au restaurant !

• Quels sont vos projets pour 2012 ?

En 2012, nous allons travailler sur de nouveaux gisements à ossements de dinosaures, mais cette fois en Charente-Maritime, bien loin des fossiles très médiatiques d’Angeac en Charente. L’un d’entre eux présente la particularité d’être le premier gisement à livrer de l’ambre datant du Jurassique. De l’ambre et des dinosaures au même endroit, c’est un programme très alléchant…

Propos recueillis par Nicole Bertin

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