samedi 11 octobre 2014

Le groupe De Caelis en création
à l'Abbaye aux Dames de Saintes

Cinq voix dans la nuit 

Pendant la première semaine du mois de septembre, l’Abbaye-aux-Dames de Saintes a plus que jamais justifié son appellation de « cité musicale » en accueillant en résidence le groupe De Caelis pour l’enregistrement d’un compact-disque. Depuis 1998, ces cinq femmes (Florence Limon, Estelle Nadau, Caroline Tarrit, Marie-George Monet et Laurence Brisset) se sont spécialisées dans l’interprétation du répertoire musical médiéval, a cappella. 

Le groupe De Caelis, cinq voix dans la nuit (photo Guy Vivien)
Générer des résonances 

Leur terrain d’expérience de recherches est très vaste puisqu’il explore le timbre, l’ornementation, l’improvisation. Leur répertoire sacré et profane va du XIème siècle à l’aube de la Renaissance. Elles travaillent avec des musicologues, des linguistes, des historiens et des compositeurs d’aujourd’hui, afin de tisser des passerelles, générer des résonnances entre le Moyen Age et le temps présent. Laurence Brisset, la directrice musicale du groupe et mezzo-soprano, vante les qualités d’acoustique formidables de l’Abbaye-aux-Dames. « Le programme que nous sommes en train d’enregistrer a germé, poussé, fleuri dans ce lieu magique. Cela fait trois ans que nous venons ici en résidence et c’est la première fois que nous réalisons un projet si ambitieux. Ce répertoire sacré que nous interprétons est un clin d’œil à la chrétienté mais aussi fait référence à Aristote, sa vision du ciel et du monde ».

Hildegard von Bingen 

 Du secret au sacré, il s’agit bien d’une alliance mystique entre Orient et Occident, hier et aujourd’hui. Cette femme allemande (1098-1179) est une femme exceptionnelle, une grande mystique écoutée et reconnue. « Elle avait des visions, rappelle Laurence, c’est une femme ardente et exaltée. C’est la joie jusqu’à son paroxysme, sa musique est charnelle tout en ayant de l’esprit. Elle demande à Dieu une force immense pour résister au désir charnel. C’est très éprouvant de chanter ce répertoire, c’est physique ».
Les De Caelis se sont donc retrouvées dans l’abbatiale et de 19 heures à 3 heures du matin (« …parce qu’il y a beaucoup trop de bruit pendant la journée, la ville contine de vivre avec ses touristes et ses habitants… ») pendant quatre nuits consécutives, ont enregistré leur programme avec des interventions de Zad Moultaka.
« Cela demande beaucoup d’énergie, de la cohésion. L’acoustique est enveloppante, la voix parait sous son meilleur jour. C’est un défi mais nous sommes en confiance totale. C’est une aventure humaine et pas exclusivement musicale ».

Silence, on enregistre (photo Lucie Favriou)
Zad Moultakar 

Né au Liban en 1967, ses recherches personnelles le poussent vers le langage musical actuel sans renier les musiques d’autrefois, notamment d’inspiration arabe. « Le chant extatique d’Hildegard éveille la parole contemporaine. Je relie les pièces chantées par les De Caelis entre elles et je me fraye un passage, un chemin dans les imaginaires. Il y a une douzaine d’années, j’ai écrit une série de pièces pour enfants sur des textes d’Hildegard. J’avais envie d’explorer, d’aller plus avant en projetant un son dans l’espace, qui laisse une trace pour ensuite former une polyphonie. C’est le rapport entre la vision lumineuse et le côté sombre de cette femme qui me passionne. J’ai construit un cheminement qui reprend ce trajet avec en filigranes des bribes de paroles, des chants d’oiseaux ».
Et si cette note ne se terminait jamais ? « Je cherche une verticalité qui ne passe pas par le système occidental de la polyphonie. Ma musique se joue dans des festivals, des percussionnistes me commandent des pièces. Et puis, j’ai vraiment eu envie de travailler avec les De Caelis et l’Abbaye nous a accueillis de très belle manière ».

L'abbaye aux Dames (photo Didier Catineau)

La musique doit être une réflexion sur l’être 

Paradis ou enfer, verger ou enfermement, le jardin clos dans lequel évolue Hildegard, au cœur du monastère, abrite l’âme retirée du monde qui n’a pour ouverture que le ciel. La musique qui s’en échappe est une réflexion douloureuse sur la condition humaine mais au-delà de cette souffrance, il y a ces envolées vers le firmament que les De Caelis ont essayé de capturer pour les restituer dans un CD Qui devrait, grâce au partenariat avec la Cité musicale de l’Abbaye-aux-Dames être présenté au printemps 2015 prochain. A propos, De Caelis, ça signifie « à propos des cieux »… Donc, quand les cieux redescendront à Pâques, nous aurons le grand plaisir de découvrir ces cinq voix dans la nuit.

Didier Catineau
didiercatineau@yahoo.fr 

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