mardi 2 décembre 2014

Comment vaincre le pessimisme ambiant ? La formule selon Jean-Claude Guillebaud

Bonne question posée lors d'une conférence à Saintes par Jean-Claude Guillebaud, reporter et écrivain bien connu qui était l’invité du Rotary, Innerwheel Saintonge, Soropotimist, les Lion’s clubs Doyen et de Saintes et les Kiwanis.  



C’est connu, les Français broient du noir. Accablés par les mauvaises nouvelles, l’actualité a fini par avoir raison de leur moral. En choisissant un titre un brin provocateur à sa conférence «  comment vaincre le pessimisme ambiant ?  », Jean-Claude Guillebaud était sûr d’attirer un nombreux public. Ses paroles, ou plutôt son analyse de la société actuelle, ont touché l’assistance. Pas de langue de bois, mais des réflexions pertinentes, le tout assaisonné de bon sens et d’expériences multiples. La recette ne pouvait que retenir l’attention et susciter une intime conviction : le monde que nous connaissons a déjà cédé la place à un autre système. Celui-là même qui nous inquiète…

Le syndrome de Roissy 

Jean-Claude Guillebaud s’avance sur la scène. L’ex grand reporter a des problèmes de lunettes. Il en a oublié une paire : «  si je mets celles qui me permettent de lire de près, je n’aurai pas le plaisir de vous voir. C’est pourquoi, je vais improviser en m’adressant directement à vous  » dit-il. L’exercice est rôdé. Ce journaliste, qui a été correspondant de guerre pour le Monde et Sud-Ouest (Afrique, Moyen Orient, Asie), est un chroniqueur " baroudeur ". Il conjugue plusieurs cordes à son arc puisqu’il a été directeur littéraire aux Éditons du Seuil et responsable de Reporters sans Frontières. Il a surtout une plume qui court allègrement sur le papier et un esprit de synthèse prompt à commenter les événements.
«  D’où vient le pessimiste actuel ? De la détresse qui découle d’un monde en perpétuelle évolution  » estime t-il. Déboussolé par le vide immense et l’impuissance qui le saisissent, l’homme est vulnérable face aux questions existentielles qui le hantent depuis le début des temps. Certains ont essayé de conjurer leur mal-être par des excès de matérialisme qui les ont décorés comme des sapins de Noël, mais le paraître a ses limites. L’être se devine sous la carapace.
Jean-Claude Guillebaud parle franchement. C’est pour cette raison qu’il est largement entendu. «  Je suis un gars bien ordinaire selon la chanson de Charlevoix  » plaisante-t-il.
Ce soir-là, il a 55 minutes pour convaincre. Les conflits qu’il a suivis lui ont ouvert les yeux : «  A une époque, on m’appelait le préposé aux catastrophes ! En rentrant en France, je ressentais ce que j’avais baptisé le syndrome de Roissy. Quand je quittais Beyrouth et ses quartiers anéantis, je retrouvais un autre univers dans l’avion. Ça sentait l’eau de Cologne. J’avais l’impression de revenir à la civilisation après avoir côtoyé la dévastation, j’allais revoir ma tribu. Quand vous survolez la France, vous êtes heureux en découvrant les villes, les villages. Il n’y a aucun cratère de bombe ! Serait-ce une terre bénie des dieux ? Vous réalisez que non quand vous voyez la tête du chauffeur de taxi qui vous emmène chez vous. Vous comprenez rapidement qu’en France, tout est censé aller mal. Et c’est à chaque fois pareil  ». Quand une grève ne vous attend pas à l’arrivée !
«  Je n’accepte pas cette tristesse qui est très tendance de nos jours. Si jamais vous semblez optimisme, on vous prend aussitôt pour un demeuré mental. D’ailleurs, les médias en rajoutent systématiquement  ».
Jean-Claude Guillebaud cite un exemple concernant l’un des anciens patrons de Sud-Ouest Dimanche, un Basque qui aimait chasser la palombe : «  quand je me suis présenté à lui, il m’a dit : si un train arrive à l’heure, ce n’est pas une info ; s’il vient à dérailler, on le traite et s’il s’agit d’une catastrophe, on peut en faire la une  ». D’où la recherche sempiternelle du scoop qui va multiplier les ventes !
Les heures graves qu’il a passées sur les lieux de guerre ont changé sa façon de penser. «  Comment êtes-vous optimiste alors que vous voyez des gens s’entre-tuer ? me lançait-on parfois. Ce sont précisément les personnes qui relèvent la tête dans des situations dramatiques qui m’ont donné des cours d’espérance». 


Jean Claude Guillebaud et l'abbé Yon
Un sixième continent, le web 

Pour Jean-Claude Guillebaud, le pessimisme découle de la crise qu’il faut s’arracher du cerveau : «  cet argument est structurellement un mensonge. On vous fait croire que la crise passée, vous serez heureux. Comme Giscard d’Estaing qui annonçait la fin du tunnel après le premier choc pétrolier  ». La crise a bon dos, en effet, et les partis politiques l’utilisent pour charger la mule du voisin. « Une croissance à 5 % par an, c’est terminé, tout simplement parce que les gens ne vont pas changer de voiture ou d’électroménager tous les ans. La crise fabrique des déçus  ».
En fait, il ne faut pas parler de crise, mais de mutation : «  tous les 2 000 ou 3 000 ans, arrive un nouveau monde. Les mutations ne sont pas des catastrophes, elles correspondent à des changements qui s‘opèrent naturellement. Pour preuve, l’existence de l’homme n’est qu’une longue suite de révolutions  ». 
La première s’est déroulée au Néolithique quand il est devenu sédentaire, agriculteur et éleveur. En Occident, l’Empire romain a régné sur le monde connu durant des siècles avant de céder la place au système féodal (Moyen âge) qui s’est incliné devant la Renaissance triomphante. Puis vint l’ère industrielle. Gandhi décrivait joliment cette réalité : «  les arbres qui tombent font beaucoup de bruit ; les forêts qui poussent ne s’entendent pas  ». On peut le dire d’une autre manière : «  le vieux monde est en train de disparaître. Quand tout est calme, on entend le nouveau respirer  ».
Une page se tourne et nous en sommes les témoins. Il devient urgent de réinitialiser nos disques durs ! Cinq grandes mutations ont changé la donne. La géopolitique d‘abord, l’Occident n’étant plus le maître du monde. Les pays émergents ont pris le relais, la Chine, l’Inde et l’Amérique latine. S’y ajoute la mondialisation, catastrophique pour les uns et formidable bouffée d‘oxygène pour les autres. «  La politique a perdu son pouvoir sur l’économie, elle est entièrement financiarisée  ». Quand vous prenez un litre de sans-plomb, savez-vous qu’il été acheté 49 fois avant la pompe ! Ce monde serait-il un peu fou avec le trading haute fréquence (transactions financières faites par des algorithmes informatiques) ?
Troisième bouleversement, le numérique, pardon la mutation digitale (c’est plus chic) qui a créé un nouveau continent : le web. «  Quand je suis sur internet, où suis-je ? Nous avons un outil à l’échelle planétaire  » constate le conférencier. Les téléphones portables font fureur : pour preuve, sur les sept milliards d’habitants que compte la planète, six milliards ont souscrit des abonnements mobiles. DSK avait sept smartphones à lui tout seul ! Et nous n’en sommes qu’au début. La presse rencontre des difficultés car les jeunes lecteurs découvrent l’actualité sur leurs tablettes. «  Le papier finira par disparaître, les infos se trouvant sur la toile ».  Il y a aussi des aspects cocasses comme ces patients qui détaillent toutes les maladies sur internet. On les appelle «  les malades google  ». Quand ils arrivent devant leurs médecins, ils prétendent en savoir plus qu’eux ! «  Cet outil a complètement changé nos vies. On peut visiter des musées et des cathédrales virtuellement  ».
La bibliothèque numérique mondiale de l’Unesco est en ligne depuis 2009. Des dizaines de milliers de documents sont mis à disposition grâce à la collaboration de 26 bibliothèques ou instituts culturels de 19 pays comme l’Arabie Saoudite, la Chine, le Brésil, le Royaume-Uni, la France ou la Russie. «  D’un accès gratuit, elle permet de consulter les trésors. C’est 100  milliards de fois la bibliothèque d’Alexandrie  » ! 

Séance de dédicaces au terme de la conférence


«  C’est la première fois dans l’histoire de l'humanité qu’on va agir sur la vie  » 

Comment ne pas citer la génétique et les progrès qu’elle va engendrer ? «  C’est la première fois dans l’histoire des hommes qu’on peut agir sur la vie, modifier les espèces, en inventer  ». Des scientifiques japonais viennent de créer une nouvelle race de singes fluorescents qui se reproduisent. On se dirige vers de nouvelles législations qui agitent l’opinion, le genre par exemple.
Un champ énorme s’ouvre à la médecine. Enfin, la mutation écologique pose la vraie question : « Dans les prochaines décennies, il ne sera plus possible de vivre comme avant. Si tous les Chinois avaient une voiture, les réserves en pétrole ne suffiraient pas. Il nous faudra inventer une autre façon de vivre. La vieille Europe ne peut pas créer une croissance indéfinie dans un monde fini  ».
Alors que faire ? La créativité de la société civile, par le biais des associations et des OGN, fait bouger les choses : «  deux millions de personnes s’engagent dans la vie de leur cité, je les admire  ». Elles ne sont pas invitées sur les plateaux de télé, on leur préfère les hommes politiques qui incarnent précisément le vieux monde auquel ils sont attachés.
Selon Pierre Rabhi et le mouvement des « Colibris », le changement interviendra par la base. Les Colibris, ce sont tous ces individus qui inventent, expérimentent et coopèrent concrètement, pour bâtir des modèles de vie en commun, respectueux de la nature et de l’être humain. Ils s’inspirent de cette fable indienne qui met en scène un tamanoir et un colibri dans une forêt en feu. Le colibri prend une goutte d’eau dans son bec pour éteindre les flammes. Le tamanoir pense ce geste inutile, mais l’oiseau réplique : « aussi petite qu’elle puisse être, je fais ma part ».
Si chacun fait sa part, la société construira le monde de demain sans céder à la nostalgie. «  Continuons à nous indigner, c’est-à-dire à réagir  » souligna Jean-Claude Guillebaud qui cita trois belles personnalités, Martin Luther King, Gandhi et Nelson Mandela.
Ainsi, par le courage, en combattant la fatalité, nous vaincrons le pessimisme ambiant !

Nicole Bertin

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