samedi 20 décembre 2014

Le Golfe des Pictons : une baie
de l'Aiguillon à la très longue histoire

Les Charentais-Maritimes et les Vendéens se félicitent de posséder en commun, en plus d’une partie du Marais Poitevin qu’ils partagent avec les Deux-Sévriens, l’actuelle baie de l’Aiguillon. Une baie à la très longue histoire. 



Remontons très succinctement à l’ère secondaire au moment où cette dépression s’étend de Fontenay-le-Comte à la plaine d’Aunis avec des points hauts qui s’étaient transformés pendant le tertiaire après l’effondrement partiel des plateaux calcaires qui la constituaient. Déjà, au cours de la glaciation du quaternaire, la déformation de la plaque tectonique avait considérablement modifié l’aspect géologique de la région. En effet, un retrait de la mer laisse, dans un premier temps, apparaître progressivement les terres, transforme les rivages …en attendant la venue d’un cataclysme vers 10 000 ans avant Jésus-Christ puis une nouvelle avancée de l’océan 5 500 ans plus tard. Le Golfe des Pictons sera à moitié couvert au deuxième siècle avant notre ère. Vient ensuite l’arrivée des alluvions terrestres et maritimes laissant émerger ces nombreuses îles, dont le rocher de la Dive, qui deviendront hameaux, villages, avec leurs légendes.

Contes et légendes 

« Ce golfe était connu des géographes anciens, nous dit l’abbé Lacurie, qui le désignaient sous le nom de Lacus Duorum Corvorum (lac des deux corbeaux). Si nous en croyons un certain Artemidore, deux corbeaux, à l’aile droite blanche, habitaient les îles de ce lac. C’était là que se rendaient ceux des Santones qui avaient quelques différends à vider. Les deux contendants exposaient sur un lieu élevé, chacun un gâteau, les corbeaux, juges de la querelle, mangeaient le gâteau de celui qui avait tort, et ne touchait point au gâteau de celui qui avait droit. Lacurie ajoute : « Strabon traite de fable ce récit, nous n’y tenons pas, et nous le citons que pour constater l’existence d’un golfe au fond duquel se perdait la Sèvre, ruisseau obscur qui n’est devenu rivière que depuis la retraite de l’Océan et le dessèchement de ces vastes atterrissements. »
Ajoutons deux autres légendes, celle du rocher de la Dive découvert par sainte Hélène qui y aurait apporté quelques vestiges de la Croix… et celle de saint Hilaire ayant chassé les serpents avant de regagner Saint-Michel.

Marais mouillés et desséchés 

Ce rocher de la Dive est pratiquement resté en l’état, alors que sa voisine, l’île de l’Aiguillon, ne cessera de s’allonger pour devenir progressivement cette pointe qui subsiste au nord de la baie. Au sud, la mer qui borde l’île de Charron se comble, elle aussi, peu à peu ; la presqu’île de Marans rejoint celle d’Esnandes, puis Saint-Jean-de Liversay qui se retrouve sur le même continent que Maillezay… à partir du sixième siècle. Plus tard et plus au sud, Amos Barbot affirme que l’on pouvait, à basse mer, joindre à pied Châtelaillon à l’île d’Aix. Le tout donnant progressivement un aspect géographique semblable à celui que nous connaissons, quadrillé de canaux d’assainissement formant les marais mouillés, desséchés et les terres hautes avec, plus à l’est, le Marais Poitevin, notre Venise verte. Ces surfaces consacrées autrefois, en partie, à d’abondantes récoltes de sel, premières richesses de la région, deviennent d’immenses espaces de cultures et de pâturages, grâce aux travaux d’irrigations titanesques entrepris par les moines et la population.

Pictons et Santons 

Aux premiers occupants installés dans la région, succèdent de nouveaux arrivants instables soumis, eux aussi, aux caprices de la nature. Les Celtes débarquent au début du Ve siècle avant J.C puis, pendant la Gaule, les Vénètes, suivis d’un peuple côtier établi entre l’embouchure de la Loire et le Lay. Ils deviendront, au nord les Pictons, de « Limonum ou Pictavi » (Poitiers) et au sud les Santons, de « Mélodianum Santonum » (Saintes).
Dans son ouvrage « Petite histoire de la Baie de l’Aiguillon ,  Roger Eraud rappelle, qu’interrogé en 1755 par le père Arcère, auteur d’une « Histoire de La Rochelle » bien connue, Charles Louis Joussemet, curé de l’île d’Yeu, prétend que : « les descendants des premiers habitants du littoral ont hérité de leurs ancêtres de quelque chose de propre qui les fait reconnaître des autres habitants de la province, principalement dans les îles sableuses des Monts, où par suite des guerres, ils se sont retirés [… ] Leur figure, leur langage et leurs mœurs les distinguent du reste des Poitevins, avec qui ils n’aiment pas à s’allier par mariage. Ils sont fidèles à la parole donnée, attachés à la religion, soumis aux supérieurs, mais prompts à la colère et enclins à la concupiscence. La haine entre les familles est héréditaire ». Ces hommes du marais vont, selon leur situation, nous dit James Baillarget de l’AHGPA ( Association Histoire Géographie en Pays Aunisien), être désignés de « colliberts », cette peuplade, vivant dans le Haut Moyen Âge à l’est du Golfe en milieu hostile des marais, souvent maudite et qui a obligatoirement participé au creusement des premiers canaux. En raison des conditions de vie difficile et malsaine, les huttiers, quant à eux, doivent, pour s’abriter, construire des abris en roseaux (les rouches) en attendant que les travaux de dessèchement leur permettent de vivre au sec et plus confortablement. Mais avec toujours aussi peu de considération. Ils seront remplacés par les « brigadiers ». Ces derniers vont être rémunérés après s’être constitués en brigades louant leurs prestations aux sociétés. « Les terrassiers » sont, comme le nom l’indique, chargés des travaux de creusement des fossés et recrutés sur place. Les « intéressés » concernent toutes les personnes intéressées par le dessèchement des terrains, qu’elles soient propriétaires ou investisseurs et retrouvées dans toutes les couches de la société. Celles-ci ont la particularité de ne pas participer aux travaux d’assainissement, réservés à cette population qui va contribuer à mettre en valeur une région insalubre et austère.

La Baie vendéenne 

Tous ces futurs Vendéens du nord et Charentais du sud vont, au fur et à mesure de cet « assemblage » des côtes et de la mer, construire villes et villages qui nous sont aujourd’hui familiers. Nous vous proposons d’emprunter les routes qui font le tour de la baie pour les redécouvrir. Commençons par l’Aiguillon qui surgira des flots à trois reprises et nécessitera le déplacement à chaque fois de son église. Situé sur la rive gauche du Lay, il verra, au fil du temps, le hameau d’en face se développer : La Faute qui subira d’importants dégâts lors de la tempête Xynthia. L’Aiguillon est tout d’abord placé sous la tutelle de son grand voisin Saint-Michel-en-l’Herm, une île ancienne fortifiée par les moines de Noirmoutier en 683 qui commenceront à mettre à profit les atterrissements alluvionnaires pour développer les ressources des terres environnantes.
Ce monastère deviendra une abbaye célèbre où séjournera Bertrand de Got, futur Clément V, et où repose Savary de Mauléon. Célèbre personnage, à l’histoire sans fin, d’une famille d’origine rétaise, il est né en 1181 et épouse Belleassez de Pareds, puis Amielle de Ré. Tantôt au service des Plantagenêt puis des Capétiens, il devient seigneur de Châtelaillon, d’Angoulins, de Talmond, de Benon, d’Angoulême, de la Flotte-en-Ré et de Fontenay.
Dans un autre domaine, Saint-Michel attend toujours de connaître l’avis des experts quant à l’origine de ses énormes collines de coquilles d’huîtres, et dont ils ne sont pas encore parvenus à déterminer réellement les origines. Triaize, du celte « triacia », connue pour être capitale des ânes (Ô l’en passe davantage qu’ô l’en reste) mais aussi pour sa foire aux bouses. Ces déjections d’animaux, une fois séchées, servaient au chauffage des maisons et leurs cendres constituaient un engrais appréciable.
A quelques kilomètres, Champagné, situé au centre d’immenses marais, que traverse son propre canal, est devenu un gros bourg à l’église très ancienne et aux maisons cossues. Puyravault est, de son côté, le repli des Templiers dès le XIIe siècle.
Ces derniers font place à une Commanderie dont le prieur sera le frère Jean le Sauveur de l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem. Ses religieux, chargés de l’accueil et de la protection des visiteurs, entourent Louis XI, de passage dans la région, et son frère, Charles de Guyenne, venus se réconcilier au Gué du Braud, ce port de l’époque, devenu le pont bien connu aujourd’hui.
Le pont du Brault enjambe, près de son embouchure, la Sèvre Niortaise dont les écluses gèrent les eaux du Marais poitevin. Il est le dernier passage entre la Vendée et la Charente-Maritime.

La Baie charentaise 

En amont, se situe Marans, ancien port d’échouage, actuellement de plaisance, après avoir été un important site céréalier. Ce village s’est développé autour de son château, doté d’une chapelle et édifié pour se protéger des invasions des Normands… et des autres.
De nombreuses familles accèdent, tout au long de l’histoire, à la propriété de ce fief qui devient comté au XIIème siècle. Comté acquis en 1740 par Etienne-Claude d’Alligre, président du parlement de Paris, qui donnera son nom au bourg pendant la Révolution. Marans devient un centre d’échanges que règlent les marchés des céréales transitant par le port qui accueille les bateaux de rivières et de mer.
Un canal, rejoignant Marans à La Rochelle, rendu nécessaire pour faire face au trafic, est abandonné peu après l’apparition des routes et du chemin de fer. Son église paroissiale Saint-Etienne a subi de grosses dégradations pendant les guerres de Cent Ans et de Religion. Ses vestiges sont classés aux Monuments historiques depuis 1921.
La nouvelle église Notre-Dame, qui lui a été substituée, ne dispose toujours, faute de fonds, que d’un clocher métallique stylisé. Les premiers habitants de Charron, île du Golfe des Pictons, continent à exploiter les salines « insula Caronis » après la chute de l’empire Romain. Devenue continentale au Moyen âge, la paroisse dépend de la seigneurie de Marans où, ici comme ailleurs, on procède à un vaste dessèchement pour rentabiliser les marais incultes.
Mais c’est vers la mer que se tournent de nombreux Charronnais avec cette mytiliculture qui va lui faire sa renommée mondiale. Situé au bord de la baie, le petit port du Pavé devient pendant un temps un endroit stratégique permettant de contrôler le passage des bateaux desservant Marans.
Au XIème siècle Charron se dote d’une abbaye qui sera remplacée par celle édifiée en 1191 à la demande de Richard Cœur de Lion. Rappelons que Charron a connu également un véritable désastre lors de la tempête Xynthia.

Nous terminerons cette promenade autour de la Baie de l’Aiguillon par Esnandes. Ce port est le dernier à border cette magnifique baie que l’on peut contempler depuis la Pointe Saint-Clément, face à l’autre pointe, celle de l’Aiguillon. Les Gallo-Romains s’y installent, comme le prouvent les fouilles effectuées précisément sur les falaises calcaires de la Pointe Saint-Clément où les archéologues ont découvert les restes d’une villa. Des sites à sel existaient également derrière l’église Saint-Martin, comme dans toute la région.
Région où l’on cultivait la vigne et exportait le vin. Mais une fois passé le phylloxéra, les Esnandais se tournent eux aussi vers la mer et les moules de bouchot. Ils n’ont pas oublié la découverte de Patrice Walton, réfugié après un naufrage au XIe siècle à Esnandes, qui faisait pousser les moules sur des pieux enfoncés dans la vase plutôt que d’attendre qu’elles grossissent naturellement. Ils sont aussi fiers de leur musée de la mytiliculture et de la curieuse église Saint-Martin fortifiée qui attirent de nombreux visiteurs.
Rappelons enfin que c’est à Esnandes que vivait au XIXe siècle la famille d’Orbigny dont Charles, chirurgien de la Marine, puis son fils Alcide qui deviendra le célèbre naturaliste dont les Charentais-Maritimes s’enorgueillissent.

Ainsi s’achève cette très brève histoire du Golfe des Pictons. De nombreux géographes - dont Claude Masse - archéologues et historiens se sont penchés sur l’extraordinaire passé de cette région et laissent aux générations qui leur succèdent le soin de poursuivre leurs travaux et de définir tous les secrets que recèlent cette région.
JEAN GUILLARD

NDLA : Un grand merci à Raymond Péchereau, auteur, entre autres du « Golfe des Pictons » chez Edilivre et d’un roman de terroir « L’oubliée du Marais fou », auto-édition (rue chemin des bois 17220 Bourgneuf 05 46 55 00 39 ), pour sa précieuse collaboration.

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