samedi 20 décembre 2014

L'école et l’extraordinaire
émancipation féminine

Non seulement les femmes pensent, 
elles sont ! 

En septembre de chaque année, la rentrée scolaire est le rendez-vous traditionnel des jeunes citoyens. Un rendez-vous obligatoire aussi depuis que Jules Ferry, alors ministre de l‘Instruction Publique, proclama la gratuité, la laïcité et l’obligation de l’enseignement primaire. Au XIXe, siècle en effet, chaque commune fut “invitée” à posséder une école, symbole d’égalité et de fraternité. C’était l’époque de la “communale” où l’ensemble des cours était réuni dans un même lieu. Les classes étaient chargées, parfois jusqu’à quarante élèves ! Personne ne s’en plaignait et l’instituteur apprenait à s’organiser. Depuis l’eau a coulé sous les ponts. Ces fiers bâtiments, construits généralement dans les bourgs, ont connu des fortunes diverses. Certains ont fermé leurs portes et connaissent une nouvelle destination ; d’autres, sauvés par les “regroupements pédagogiques”, remplissent leur mission. Une cour de récréation, les cris joyeux des enfants, le tableau noir, la craie blanche et désormais du matériel informatique : cette présence signifie que la vie est là, tout simplement…


Au XVIIIe siècle, les premières écoles paroissiales 

“Qui a eu cette idée folle, un jour, d’inventer l’école ? C’est ce sacré Charlemagne” dit la chanson. En faisant appel aux lettrés étrangers, le roi des Francs avait compris l’apport des hommes cultivés dans son entourage : un peu de finesse, de subtilité et une nouvelle façon de gouverner. “Une cour moins inculte semblait le moyen d’une plus grande intelligence des problèmes qui se posaient dans la gestion de son royaume” écrit Jean Favier dans l’ouvrage qu’il a consacré au fils aîné de Pépin le Bref.
Toutefois, si Charlemagne appréciait les bienfaits d’une solide éducation (en cherchant à peaufiner la sienne), il n’est pas le premier à avoir privilégié la connaissance. La transmission du savoir existait déjà dans le monde antique. C’est une vieille histoire que celle du maître et de ses disciples ! Longtemps, en France, l’éducation des enfants des classes aisées a été assurée par un précepteur, un ecclésiastique le plus souvent, rémunéré par les familles.
 Parallèlement, le sort des enfants pauvres restait un sujet préoccupant. C’est en 1257 à Paris que Robert de Sorbon créa la Sorbonne. Son but était d’ouvrir un établissement qui permette aux plus démunis de suivre des études théologiques.
 Au XVIIe siècle, un certain Comenius préconise une école commune pour garçons et filles, sans distinction de classe. Dans les campagnes, le curé instruit les jeunes “villageois”. Repérés par ses soins, les plus doués sont envoyés au Séminaire. Le clergé est alors l’une des sources de “promotion sociale” ! Sous Louis XV, le cardinal de Fleury fonde, par édit royal, les écoles paroissiales. Les meilleurs éléments sont dirigés vers les collèges royaux, puis ils fréquentent les universités. Plus tard, Napoléon sera le père des lycées. L’organisation d’une véritable école publique commencera avec Louis Philippe et trouvera son accomplissement avec Jules Ferry, sous la IIIe République. Il ne fera que poursuivre les grandes lignes de ses prédécesseurs.


Elles votent grâce à Charles de Gaulle

L’avenir le plus brillant est, bien entendu, réservé aux garçons. Promises à un autre destin, celui de devenir des épouses, les filles reçoivent un enseignement différent. Leurs lectures font l’objet d’un contrôle rigoureux. Ainsi la déclaration d’une jeune Italienne en 1787 est révélatrice : « on ne nous apprend pas à écrire de peur que la plume ne nous serve à écrire des lettres d’amour. On ne nous permettrait pas non plus de lire si nous ne devions pas nous servir de livres de prières ». De là à parler du poids de la morale et de la religion sur l’épanouissement personnel, il n‘y a qu’un pas...
En France, la Révolution a fermé les couvents qui leur dispensaient une éducation “adaptée”. La grande question est de savoir ce qu’elles doivent apprendre, sans ignorer que leur mission première est de tenir leur maison et de mettre au monde des enfants. Les hommes sont nombreux à avoir planché - parfois sans objectivité - sur l’avenir de leurs compagnes. Le célèbre Mirabeau pensait qu’elles étaient faites pour la “vie intérieure”. En conséquence, les matières classiques, lecture, écriture et arithmétique constituaient une base largement suffisante.
Talleyrand, l’homme politique, estimait que l‘instruction devait exister pour tous, avec quelque nuance : « les filles seront retirées de l’école dès l’âge de huit ans pour recevoir chez elle l’éducation que leur dispenseront leurs pères et mères ». D’autres étaient plus restrictifs dans leurs jugements. Dans un discours qu’il prononça en avril 1870, Jules Ferry, visiblement embarrassé, s’interrogeait encore sur ce délicat sujet : « il faut que la femme appartienne à la science... ou qu’elle appartienne à l’église ? ». Les intéressées, confrontées aux réalités et soucieuses d’une réelle ouverture, faisaient fi des grandes déclarations et plantaient leurs jalons. En 1862 à Paris, la première école professionnelle pour jeunes filles pauvres voyait le jour à l’initiative d’Elise Lemonnier, que l’ignorance de la classe ouvrière avait frappée. D’autres exemples suivirent. L’évolution était en route ! Chaque marche fut montée progressivement et laborieusement.
Il fallut attendre le XXeme siècle pour que les femmes poursuivent les mêmes études secondaires que leurs camarades masculins. Et Charles de Gaulle pour qu’elles puissent voter. Une femme instruite était-elle considérée comme une rivale dangereuse ? L’expression “sois belle et tais-toi” résume assez bien la question !

De nos jours, il existe un revers de la médaille : les bachelières sont devenues plus nombreuses que les bacheliers. Depuis 68, l’émancipation féminine est palpable et l’on peut parler d’égalité dans le travail entre les deux sexes (bien qu’il faille tenir compte d’écarts en matière de salaires) et en politique avec la parité. Finie, en tous cas, cette époque où les filles étaient tenues dans une ignorance absolue « car elles n’avaient pas besoin d’être savantes pour tenir leur ménage » !

Jeanne Chauvin fut la première femme avocate à plaider en 1907
L’école de nos grands parents 

Souvenez-vous : L’école de Jules Ferry, obligatoire de 5 à 12 ans, trouvait son aboutissement avec le certificat d‘études, dont personne ne conteste l’excellent niveau. Quand un élève décrochait le prix cantonal, son maître en était bien fier. Il y avait de quoi ! L’enseignant était un être à part, respecté et craint. Cette proximité démontrait un attachement réel aux institutions : du haut de son estrade, le maître ou la maîtresse régnait sur son école durant plusieurs décennies. L’école fonctionnait avec les moyens du bord : aucune association de parents d’élèves ne venait dénoncer les situations préoccupantes. D’ailleurs, les élèves eux-mêmes étaient chargés d’alimenter en bois le poêle pendant l’hiver. Galoches aux pieds, les petits ruraux arrivaient de hameaux parfois bien éloignés : les services de car ne viendront que plus tard. Nos aïeux devaient affronter tant la pluie que le soleil intense : ils ne s’en portaient pas plus mal !


Chaque matinée commence par une maxime 

Avant 1850, le maître est rémunéré directement par les familles, de l’ordre de « 25 sous jusqu’à 9 ans et 45 sous après ». Côté accessoires, les marques n’ont pas encore envahi trousses, cartables et stylos en tous genres. L’encre violette attend patiemment dans l’encrier de porcelaine blanche. A chaque rentrée, le porte-plume est doté d’une pointe neuve (Sergent Major) qui crisse sur le papier quand on l’inaugure. Gare à la tache qui peut surgir à n’importe quel moment ! Le buvard est là, reflet envers des écritures et des aléas de la journée. L’écolier se soucie peu d’arborer du matériel “branché”, des vêtements ou des chaussures “griffés”. Il porte une blouse de couleur sobre qui possède un avantage : elle le place au même rang que ses camarades. Ni plus, ni moins. En classe, il abandonne le patois qu’il parle à la ferme pour la belle langue de France. Si le jeune citoyen apprend les bases élémentaires (lire, écrire, compter), on lui enseigne l’amour de la patrie - la guerre est omniprésente - ainsi que des règles, dont la propreté, qui l’aideront à vivre en société. Chaque matinée commence par une maxime. S’il se tient mal durant la journée, il termine au coin ou au piquet. Cet isolement facilite en général la méditation. S’il a bien travaillé, il reçoit un bon point et bientôt une image. Importante, la remise des livres de prix, jugée trop sélective, a été abandonnée. Le jeudi, après trois jours de dur labeur, l’enfant a enfin un moment de liberté. A la campagne, ses parents lui trouvent facilement une occupation. Il y a tant à faire sur la “beunasse”…

Nicole Bertin

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