samedi 20 décembre 2014

Un billet de train pour l’Orient Express :
Une aventure littéraire
à la Maison d'arrêt de Saintes


En janvier dernier, sur proposition de l’association socioculturelle de la maison d’arrêt de Saintes, deux rencontres littéraires en quartier femmes et quartier hommes se sont déroulées sur le thème du voyage et des ailleurs. Les détenus ont échangé avec Didier Catineau, intervenant extérieur, sur le sujet suivant : « Un billet de train pour l’Orient Express ». Il s’agissait de récolter un ensemble d’impressions, de mots, d’effets que peuvent soulever et suggérer ce thème : la destination, les rencontres dans le train, les petites et grandes histoires, le voyage par lui-même, les gares de passage et d’une manière plus générale la vie à bord d’un train … 
Didier Catineau a écrit après avoir recueilli auprès des volontaires hommes et femmes, les mots qu’ils souhaiteraient voir figurer dans deux nouvelles qui seront des œuvres collectives signées du prénom de tous les participants et publiées dans l’Œilleton. 


Didier Catineau (photo Denys Piningre)
• Un billet de train pour l’Orient Express [Quartier Femmes] 

« Entrer dans une agence de voyages c’est entrer dans le monde de l’irréel. Tout y est coloré, chatoyant. Les brochures abondantes vous parlent de pays fabuleux où vivent des éléphants, des requins, des oiseaux multicolores. On vous parle doucement, on vous sourit, on vous flatte, on vous séduit par mille merveilles. La charmante jeune fille blonde aux yeux bleu profond comme un lac de montagne me décrivit Prague, Budapest, Vienne, Venise et combien la vie était subtile et délicate dans une cabine douillette avec des couchettes aux draps de damas en coton. Boire un vieux cognac dans la voiture-bar du Simplon Express, enfoncé dans un fauteuil en cuir, déguster des mets inouïs apportés par des serveurs en jaquette et cravate sont des promesses de félicité à venir qui me firent me précipiter à la gare pour prendre le premier train pour Paris. A moi l’aventure ! » 


L'une des nombreuses affiches de l'Orient Express
Voilà ce que j’écrivais il y a de nombreuses années en me disant qu’un jour, c’est sûr, j’irai à Venise. Le rêve était ténu, irréel mais j’espérais sans trop y croire. Je suis Iréna, photographe animalière et je gribouille quelques légendes à des photos fournies par des magazines féminins préoccupés de ligne sportive et de grand et bel amour comme on en voit éclore à Hollywood. On me paye pour ça et j’avoue que trouver la formule qui fera frémir les jeunes lectrices avides d’exotisme m’amuse beaucoup. Jusqu’au jour où une revue, séduite par le portrait que je venais de faire d’un « russe bleu » adorable, miaulant au joli nom d’Apollon, me proposa une mission inédite et flatteuse.
Et si je prenais place dans un wagon bleu et or du Venice Simplon-Orient Express à destination de la cité des Doges et qu’à bord, mes photos racontent l’instant, l’exception, la rareté ?
Mais voilà, je suis plus habituée à fréquenter des endroits populaires et ouvriers et mon éternel jean assorti au polo informe que j’aime tant me feraient paraitre telle une zoulou dans un beau salon doré. Après tout, l’expérience risque d’être amusante et je me sacrifie en achetant une exquise robe noire au décolleté plongeant et des escarpins à talon plat : la nouvelle Madone, c’est moi. En tout cas, rien de religieux dans tout ça puisque je pense à la célèbre Madone des sleepings dont j’avais lu les aventures voluptueuses, mélange d’espionnage et de séduction raffinée.

Sur le quai de la gare de l’Est à Paris, les wagons sont bien là, la moquette rouge montre le chemin et une haie de serveurs – on dit steward mais j’aime bien le mot serveur – aux gants blancs et à veste bleu nuit et boutons dorés m’accueille en exhibant des sourires bienveillants et chaleureux. Mon appareil photo en bandoulière et mon sac de sport élimé datant du temps où le tennis se jouait de moi, ne m’encombraient guère. On m’attribua une belle cabine avec un lavabo digne d’une maison de poupée. Là, je m’empresse d’ouvrir mon sac pour y déplier ma robe noire. Un steward ressemblant à Clooney, en m’escortant dans le couloir menant à ma cabine, me précise avec insistance que le repas du soir est « habillé ». Je lui souris candidement en lui faisant remarquer que lui-même ne porte pas ses gants blancs comme les autres serveurs. En guise de réponse, il m’adresse un sourire énigmatique et disparait comme par magie. Assise dans la voiture-restaurant Côte d’Azur aux vitres bleutées et opaques, je contemple la décoration faite de panneaux vitrés, de frises d’un certain Lalique et je crois bien qu’à cet instant précis, l’envie fugitive de m’enfuir commence à m’envahir.
Et c’est alors qu’un vieux monsieur aux moustaches cirées comme celles du peintre génial Dali, s’assied en face de moi. Il s’appuye sur une canne dont le pommeau représente une tête de chat.
- Bonsoir jeune fille. Mon nom est Pablo. 
- Iréna. 


Un formidable périple...
Le restaurant se remplit progressivement et un doux babil m’envahit. Les serveurs voltigent et le train s’enfonce dans la nuit, sans secousse, doucement comme dans de la ouate.
- Savez-vous, souffle Pablo, savez-vous que nous avons actuellement un très gros souci ?
- Ah ? lequel ? 
- Nous sommes consignés dans le Côte d’Azur car un petit plaisantin a subtilisé toutes les clefs des cabines et comme il est difficile de fracturer les serrures, vous pensez bien que le bois précieux est à ménager, nous allons prendre notre temps, avec philosophie. Je ne sais s’il plaisante ou s’il est sérieux mais cet homme m’intimide un peu et la tête de chat de sa canne me contemple avec obstination. Ses deux yeux sont vert et rouge, quelques pierres précieuses sans doute. 
- Je suis armateur et je rejoins ma compagne à l’hôtel Danieli à Venise. Le steward Clooney passe à me frôler, se retourne et m’adresse un clin d’œil appuyé. 
- Je photographie des animaux et je suis en reportage. 
- A part ce chat d’argent, nul animal dans ce wagon. 
- Détrompez-vous ! j’aime beaucoup immortaliser mes sujets en pensant au décor qui les entoure. Une photo, ce n’est rien à faire mais je pense que ce qui est important c’est qu’on puisse deviner ce qu’il y a autour. 
Pablo arrête de sourire et s’enferme dans le silence. Le menu servi avec dextérité et précision est inouï. Je note rapidement sur un petit calepin avant de l’oublier, la succession de ces raffinements excessifs : île flottante au caviar et son cœur de mousse d’oignon, blanc de bar et bouillon infusé de douces épices, joue de bœuf enrubannée d’une feuille de poireau surmontée d’une tranche de foie gras rôtie et mousseline de pomme de terre à la truffe, fraises et sorbet litchi. Pablo me sert sans dire un mot une coupe d’un champagne prestigieux à la bouteille sérigraphiée, s’accordant parfaitement avec les panneaux Lalique.


- Ce que vous m’avez dit tout à l’heure m’a beaucoup touché. Le vieil homme semble sortir de sa réserve. 
- Vous m’avez fait penser à Alice au pays des merveilles et au revers du miroir. Ne pas s’arrêter aux apparences, chercher derrière. Toujours. 
- Je n’y avais pas songé mais effectivement, il y a un peu de ça. On s’agite beaucoup dans le wagon. On n’a toujours pas retrouvé les clefs des cabines et la soirée se prolongeant, beaucoup commencent à ne plus trouver très drôle ce qui n’était au début qu’une sorte de farce. 
- C’est déjà arrivé une fois, reprend le vieil homme au regard bleu perçant. Il y avait une sorte de congrès de magiciens en route pour Vérone et tout au long du voyage, charmant d’ailleurs, ce ne furent que mystifications et tours enchantés. Je ne serai pas surpris que ce voyage soit à nouveau une réédition. N’avez-vous pas remarqué l’attitude étrange de ce steward sans gants blancs ? Je me trouble car bien évidemment, j’avais remarqué son manège. 
- J’ai surtout remarqué qu’il virevolte dans le wagon mais ne sert personne ! 
- Ne croyez pas cela. Je trouve que bien au contraire, il s’occupe de tout le monde avec un zèle remarquable. Je voudrais vous raconter une histoire qui m’est arrivée il y a de très nombreuses années. J’étais bien jeune alors. Je traversais une vallée au Népal. Il avait beaucoup neigé et j’étais transi de froid. Je n’avais plus de provisions, mes compagnons m’avaient abandonné et je pensais bien mourir lorsque je vis une faible lueur dans la tempête qui commençait à se lever. C’était une masure à la porte disjointe et dedans la masure, un très vieil homme aux longs cheveux et à la barbe blanche effilochée. Autour de lui, une forêt entière de bonzaïs envahissait le moindre recoin. Il n’y avait pas de feu car l’ermite vivait ici dans la contemplation et le sacrifice de sa personne aux esprits. Je ne pouvais me réchauffer, je tremblais de toute mon âme. L’ermite prit tous ses petits arbres, les entassa et fit un feu qui me ramena à la vie. Ne vous fiez pas aux apparences et regardez toujours derrière ce qui est caché. 


Pablo regardait avec obstination les lumières dans la nuit que déchirait le Simplon Orient Express. Tout cela est nouveau pour moi et j’avoue être un peu dépassée par cette conversation et cette étrange ambiance. Clooney s’est approché de moi :
 - Savez-vous que les clefs sont sous les fesses du pianiste dans le wagon-bar ? 
Et Pablo d’ajouter : 
- C’est un beau tour, cher maître, mais l’absence de gants blancs vous a trahi. 

Clooney se penche vers le vieil homme : - La nuit ne fait que commencer. Et en attendant que nous descendions à Venise, j’ai cru comprendre que dans le wagon-restaurant l’Oriental avec ses laques noires, on allait procéder à la reconstitution du meurtre d’Agatha Christie, enfin de son roman plutôt. Je m’appelle Iréna et je suis photographe animalière en villégiature dans un train où la magie des mots et des images m’envahit comme une ondée bienfaisante. Quand j’arriverai à Venise, à la gare de Santa Lucia, je prendrai sûrement un vaporetto et assise devant le Danieli j’attendrai que les chats de Venise passent me voir pour que je les immortalise en pensant toujours au monde magique qui les entoure. Au Café Florian, j’attendrai patiemment qu’un vieux monsieur s’appuyant sur une canne au pommeau félin s’asseoit devant moi et me demande quel temps il fait derrière le miroir d’Alice. Les deux lions dorés dressés et se faisant face m’accompagneront encore pour que je n’oublie pas que la sagesse n’est rien sans la beauté du geste. 




Malika, Marie-Laure, Mickaela, Karine, Didier. 

[Le jeudi 16 octobre 2014 a eu lieu dans le quartier femmes de la maison d’arrêt de Saintes une rencontre littéraire sur le thème d’ « Un voyage dans le Venice Simplon Orient Express », avec la collaboration de Benoit Vautier, enseignant éducation nationale en poste à la maison d’arrêt, de Malika, Marie-Laure, Mickaela, Karine ainsi que de Didier Catineau, éditeur, écrivain et journaliste. L’élaboration de ce texte qui représente un travail collectif cosigné par Malika, Marie-Laure, Mickaela, Karine ainsi que Didier Catineau a été permise grâce à l’association socioculturelle de la maison d’arrêt de Saintes, à Gilles Roy, directeur de la Maison d'arrêt de Saintes avec des financement du Fonds interministériel de la prévention de la délinquance (FIPD) versés par l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances et de la Fondation SNCF sur l'appel à projets « Coups de cœur solidaires ». Le texte définitif de la nouvelle a été présenté aux détenues participantes, le jeudi 13 novembre 2014.]

Sûr, rapide, économique !

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