samedi 19 mars 2016

Jean-Louis Berthet : « A Jonzac,
Emile Gaboriau a découvert
ce qu’il cherchait sans le savoir,
la lente et trompeuse sagesse
de la société provinciale et la beauté
reposante de la nature. Il en a fait le décor
de son dernier roman La corde au cou »

Jean-Louis Berthet, distingué par l'Académie de Saintonge pour "Les Naufrages de Géricault", vient de publier une biographie consacrée à l'écrivain Emile Gaboriau qui repose dans le petit cimetière de Jonzac. L'auteur y retrace la vie romanesque du père du roman policier foudroyé au moment de s'imposer comme l'un des grands écrivains du XIXème siècle. Ce livre est paru aux éditions du Croît Vif.

Ancien magistrat à la Cour des Comptes, élu (dont un mandat à Lignières Sonneville en Charente), Jean-Louis Berthet se consacre à l'écriture.

• Jean-Louis Berthet, vous venez de consacrer un livre à Emile Gaboriau. Qu'apporte-t-il de plus à l'épais ouvrage écrit par Roger Bonniot ?

J’espère qu’il apporte la légèreté. Mon livre n’a que cent cinquante pages. Il ne prétend faire aucune découverte sur Émile Gaboriau et son œuvre. Mais, étant une biographie, il raconte la vie intense et tragique d’un écrivain aux grandes qualités humaines, emporté par l’histoire de son époque et mort trop tôt. Roger Bonniot était un chercheur consciencieux, intelligent et infatigable, d’une immense érudition. Son livre est bourré d’informations nombreuses et précises, de raisonnements judicieux, de comparaisons riches d’enseignements. Mais il traite autant l’œuvre de Gaboriau que sa vie, il raconte en détail chacun de ses livres et il étudie leur  place dans l’histoire du roman policier. C’est l’œuvre d’un savant admirable. 
N’ayant pas les qualités de R. Bonniot, j’ai voulu simplement redonner vie à un oublié de l’histoire, comme je l’ai fait pour l’abbé Perrin, le curé de Lignières Sonneville, pour la maîtresse et le fils caché de Géricault et pour Gustave Cunéo d’Ornano, le député de Cognac. Ces vies obscures, inséparables de l’histoire de leur temps, racontent cette histoire aussi bien que les biographies des hommes célèbres, souvent convenues, pour ne pas dire truquées. Emile Gaboriau, c’est la bohème à Paris, le journalisme qui se développe sous la censure et le roman policier qui pointe le nez, comme Cuneo d’Ornano était le bonapartisme qui s’évanouissait et l’abbé Perrin, l’Eglise qui s’adaptait au monde nouveau.

• Pour mémoire, pourquoi Emile Gaboriau a-t-il été appelé "père du roman policier" ?

Il est le premier à avoir consacré tout un roman (et même cinq romans de 1865 à 1869) à raconter l’enquête policière et l’instruction judiciaire menées pour élucider un crime. Il a décrit les méthodes de la police et des détectives privés. Il a le premier fixé la règle qui est d’égarer le lecteur pour mieux le surprendre par la découverte de la vérité dans les dernières pages. 

• Emile Gaboriau est né à Saujon et il repose dans le cimetière de Jonzac. Parlez-nous de ses périodes charentaises ? Ont-elles été déterminantes ?

La Saintonge est le rêve inaccompli d’Emile Gaboriau. S’il y est né, il l’a quittée dans son enfance et n’y est revenu durablement que pour être enseveli dans le cimetière de Jonzac. 
En fait, devenu parisien, il a retrouvé assez tard le pays de ses ancêtres en venant rendre visite à son père, retraité à Jonzac, et à sa sœur, épouse du maire de la commune, M. Coindreau. Mais il y a découvert ce qu’il cherchait sans le savoir, la lente et trompeuse sagesse de la société provinciale et la beauté reposante de la nature. Il en a fait le décor de son dernier roman, La corde au cou, qui se passe dans une petite cité charentaise inspirée par Jonzac. 
  Seulement, la Saintonge qu’il a aimée, celle dans laquelle il a rêvé de vivre et d’écrire, c’était la belle Saintonge maritime de Royan et de Saint-Palais-sur-mer. La veille de sa mort, il avait dressé les plans de la maison qu’il voulait faire construire, sous les pins, face à l’océan atlantique. Il y aurait écrit dans la paix l’œuvre ambitieuse qu’il méditait.  

• Comment devient-il écrivain et quelles sont ses influences ? En plein romantisme, la littérature a-t-elle été un refuge pour cet esprit tourmenté ?

Emile Gaboriau est d’abord un journaliste qui écrit pour vivre, se faisant le critique de théâtre et l’échotier satirique de la société parisienne. Puis, au contact du monde littéraire, il cherche la célébrité et l’argent dans ce qui rapporte, le théâtre et le feuilleton. Il imite Eugène Sue, Ponson du Terrail, Alexandre Dumas. Mais son grand modèle, c’est Balzac. Il commence par dresser, comme lui, des portraits amusants et véridiques, ceux des militaires et des fonctionnaires de son temps, puis il cherche à raconter une intrigue mouvementée dans la société mélangée du second Empire, avec des personnages étonnants et des rebondissements savamment agencés, comme dans Splendeur et misère des courtisanes. Il a l’ambition d’écrire l’épopée de la seconde moitié du siècle, comme Balzac a écrit celle de la première moitié. Mais, par son style vif et dialogué, il fait souvent penser à Alexandre Dumas. Cela ne l’empêche pas d’être lui-même, un as pour imaginer une intrigue et en dérouler les péripéties. Il a l’art de portraiturer des personnages originaux et véridiques. Il voit les tares de la société et il compatit aux malheurs des plus défavorisés. S’il avait vécu, il eut été le témoin sévère de la IIIème République commençante, celle des avocats et des professeurs, comme Balzac fut celui de la Restauration et Zola celui du Second Empire.

De tous ses romans, lequel préférez-vous ? 

J'aime surtout les jeunes héroïnes de Gaboriau, intelligentes, généreuses et courageuses. Des anges sur la terre. Il parait que ça n’existe pas, mais c’est faux, j’en ai rencontré. J’aime aussi les personnages secondaires, les valets fidèles, les filous, les vieux soldats, le gardien de prison, le vieux notaire amoureux d’une jeunesse, la forte servante d’un policier sortie du bagne. 
 J’ai peut-être un faible pour Le crime d’Orcival à cause de ses amantes naïves, fidèles aux hommes qui ne les méritent pas. Ou pour La Corde au cou à cause de la femme adultère si courageuse dans sa faute et de la fiancée si confiante dans celui que tout accuse. 
J’aime aussi ce roman dans lequel un paysan prépare un foyer pour la jeune fille noble qu’il n’épousera jamais. Il le lègue en testament à la jeune femme avant de mourir. C’est, je crois, Le dossier 113. Vous m’y faites penser, je devrais relire Gaboriau !

 
• Quelle qualité vous a séduit chez Emile Gaboriau au point de lui dédier votre plume ?  Sa modernité que vantait d'ailleurs Joseph Kessel ?

Non, pas sa modernité. Au contraire, j’ai aimé l’ancrage d’Émile Gaboriau dans la XIXème siècle du Second Empire, en pleine transformation économique, politique et sociale. J’ai surtout été ému par l’humanité attachante d’Emile Gaboriau et par la tragédie de sa vie. J’ai été touché par son travail acharné, auquel il a sacrifié son repos, par ses grandes qualités d’invention et de style, par sa vie privée à la fois sage et affranchie des conventions, par ses souffrances physiques et son destin tragique. Sa vie est un roman dont il est le héros.
Il est mort encore plus tôt que Balzac, à peine marié comme Balzac, laissant comme Balzac son œuvre inachevée. S’il n’avait pas le génie divinatoire et réaliste de son modèle, il était dans la vie beaucoup plus solide et sérieux que lui.  

• Sur quel autre personnage envisagez-vous de travailler après Emile Gaboriau ? Je pense que nous n'allez pas vous arrêter en si bon chemin !...

Sait-on jamais ce qui nous reste à parcourir ? A partir d’un certain âge, la vie est un chemin qui se perd. Je fais pourtant des recherches sur deux hommes politiques charentais, l’un du passé, l’autre d’aujourd’hui. Mais que trouverais-je ? Aurai-je le temps et la force de raconter leur vie ? D’ailleurs, qui s’intéresse à ceux qui se dévouent pour le bien commun ? On les confond aisément avec ceux qui se servent du bien commun pour se faire du bien. Mieux vaut raconter les truanderies des truands. J’ai d’autres projets, un peu fous. Mais, comme Gaboriau, je les emporterai avec moi. D’ailleurs, tant mieux. J’écris comme je parle, sans mots américains, qui font moderne, sans mots orduriers, qui font réaliste, sans raconter des obscénités toutes les vingt pages, ce qui fait décomplexé, comme il faut faire maintenant. Je suis d’un autre siècle, passé depuis longtemps. Je n’ai pas d’avenir. Mais, si vous avez une idée, dites-moi ! 


Propos recueillis par Nicole Bertin

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