mardi 8 mars 2016

La femme de la Préhistoire, qui était-elle ? Formes généreuses, mère nourricière, indispensable à la survie de l'espèce...

L'histoire de la femme remonte à la nuit des temps et durant des lustres, il ne fut point question d'accorder une journée particulière en son honneur. Son rôle, transmettre la vie et permettre une descendance, suffisait au bonheur… des hommes !
Pour les uns, elle s‘appelle Eve, compagne d’Adam au jardin d’Eden avant que les choses ne tournent mal. Pour les autres, il s’agit de Lucy ou Pierrette, nos ancêtres découvertes respectivement en Afrique et à Saint-Césaire en Charente-Maritime.
Il y a quelques années, à l'occasion des Entretiens de Saint-Césaire, plusieurs éminents paléontologues, dont Yves Coppens, ont essayé de cerner la personnalité et le rôle de la femme de la préhistoire. Celle qui a posé les premiers jalons autrement dit !

Représentation de la femme préhistorique. Ravissante !
La commune de Saint-Césaire est devenue célèbre grâce une femme, une Néandertalienne dont les ossements ont été trouvés par l'équipe du professeur Levêque à la Roche à Pierrot. D'où son prénom. Elle vivait aux côtés des Homo Sapiens que son espèce côtoya plus de 10.000 ans (elle et ses congénères disparurent de la Terre il y a 24000 ans environ). La communauté scientifique en fut bouleversée, elle qui pensait que les deux lignées s'étaient simplement succédé. L'histoire réserve parfois des surprises !
Pierrette inspira le cinéma. Elle y apparaît déjà très civilisée, sait quelle place elle occupe au sein du groupe, se pare et tombe amoureuse. Maillon de la grande chaîne de l’humanité, sa rencontre avec Cro-Magnon, plus évolué qu’elle, est une révélation.
L’histoire, belle et émouvante, est bien sûr le fruit de l’imagination. Une imagination façonnée aux XXe et XXIe siècles avec des paramètres qui correspondent aux données préalablement «initialisées» : culture, religion, comportement, éducation, etc.
En fait, nul ne sait véritablement comment vivaient les Néandertaliens et seules des hypothèses, émises à partir des chantiers de fouilles, peuvent être formulées.
Les groupes vivaient dans des grottes où ont été trouvés des foyers. Ossements et silex constituent alors des indices. Les sépultures révèlent certains rituels tandis que les outils sont les témoins des évolutions. Bien que riche, cette moisson est insuffisante car elle laisse sans réponse de nombreuses interrogations.

La femme ou le mystère de la vie

Il y a quelques années, les Entretiens de Saint-Césaire ont consacré une conférence à la femme dans la préhistoire en présence de Claudine Cohen, Yves Coppens et Bernard Vandermeersch. Il y a peu de temps que les paléontologues s’intéressent au sujet, bien que Lucy, chère à Yves Coppens, ait largement fait parler d’elle.
Auteur de l'ouvrage, « La femme des origines », Claudine Cohen rappela à juste titre que l’image de la femme préhistorique s'est sérieusement modifiée depuis quelques décennies.
Au XIXeme siècle, son compagnon est censé descendre du singe. Les illustrateurs le représentent vêtu d’une peau de bête et massue à la main. Sa femme n’a qu’à bien se tenir. Tirée sans ménagement par les cheveux, elle subit le traitement de l’homme bestial. La pauvresse obéit aux exigences du sexe fort, chasseur en l’occurrence, donc utile à la survie.
Par la suite, cette description change. Certes, elle ne porte pas la culotte, mais elle n’est plus uniquement un objet de désir ! En mettant un peu de tendresse dans ce monde de brutes, « La guerre du feu », célèbre film de Jean-Jacques Annaud est révélateur...
A la question : comment reconnaît-on une femme d’un homme à partir des ossements mis à jour ? Claudine Cohen apporta des précisions : « la gracilité du squelette et le bassin sont à prendre en compte ». Malheureusement, il est très rare de trouver un bassin entier. D’où des incertitudes : « il est arrivé qu’une découverte change cinq fois de sexe ! ».
Ce fut d’ailleurs le cas pour Pierrette qui faillit être un garçon. Au final, le sexe faible l’emporta (pour des raisons médiatiques ?) sur un Pierrot qui plaisait moins ! Quant à savoir si la dame affichait une certaine féminité, c’est un chapitre sur lequel il est difficile de se prononcer. Il est permis de rêver cependant. Les femmes, en général, ont toujours aimé séduire...
Que faisaient-elles à l’époque préhistorique ? L’existence d’une industrie de petite taille est prouvée, filage, tissage. Les tâches sont réparties : les hommes chassent - certains pensent qu’ils peuvent être charognards par opportunité - et leurs compagnes ont, à l’évidence, des activités qui nécessitent une force physique moindre. Elles donnent aussi la vie, acte essentiel à la continuité de l’espèce.
A quoi ressemblent-elles ? Outre l’idée qu’on peut s’en faire, Claudine Cohen commenta des diapositives ayant trait aux sculptures de l’époque. On est encore loin des mannequins anorexiques ! Les silhouettes généreuses évoquent des maternités multiples. Semblables aux talismans, ces objets servaient-ils à protéger les grossesses ? L’accouchement et la conception en général devaient être très obscurs pour l’homme de l’époque. Il croit ce qu’il voit, c’est-à-dire un ventre qui s’arrondit et un petit être qui en sort après un certain nombre de lunes, comme par miracle. D’où vient-il ? De la femme. Qui est-il ? Un individu à part entière qui grandira. Comment est-il arrivé là ? Voilà bien la question ! L’homme sait que le phénomène est naturel puisque les animaux se reproduisent et mettent bas de la même manière. Mais il possède une morphologie différente, il est bipède. La distance qui se creuse entre lui et les autres créatures, dont il admire pourtant la force au point de vouloir la « capter » (d’où le chamanisme ?), peut elle être à l’origine du "sacré" ? Après tout, pourquoi pas puisque la vie, comme la mort, sont pour lui des phénomènes surnaturels. De là à leur attribuer une origine particulière, il n’y a qu’un pas. L’approche n’est pas simple et la femme stérile devait être mal acceptée par son clan en ce sens où elle ne pouvait expliquer, ni comprendre son état.
Bref... Ces « Vénus » -  leur nom de baptême - sont-elles des images réalistes des corps ou des interprétations ? Les deux peut-être. Les gravures en forme de vulve, quant à elles, sont assez explicites.  L’une d’elles, à la Grotte Chauvet, pourrait être « la matrice de toutes les représentations antérieures » estime Claudine Cohen.

Gravure de la femme préhistorique attendant son mari rentrant de la chasse
L’art des formes généreuses

L’art paléolithique d’avant Lascaux correspond aux grandes périodes aurignacienne, gravettienne et solutréenne (d’il y a 30.000 ans à 17.000 ans).  Tout au long de cette période, la technologie se perfectionne et s’enrichit. Les statuettes féminines sont l’élément caractéristique du Gravettien  : « elles sont fortes et n’ont pas de visage ou bien celui-ci est dissimulé par une sorte de résille » (Lespugue en France, Willendorf en Autriche). Les sculpteurs de toute l’Europe utilisaient la pierre ou la matière osseuse. Sur les parois, au même moment, apparaissent les premières mains faites au pochoir !

Evidemment, elle ne défilerait pas pour les grands couturiers !!!
 Plus tard, au Magdalénien, la production s’intensifie : « les figurations féminines constituent un groupe morphologiquement et stylistiquement très homogène. Ainsi le profil gravé dans l’ivoire de mammouth découvert en Ukraine, ceux de Fronsac en Dordogne et les centaines de gravures de Gönnersdorf en Allemagne. Systématiquement dépourvue de tête, cette femme possède un fessier massif et saillant, arrondi ou anguleux, parfois cambré, surmonté d’un buste plutôt grêle, vertical et incliné vers l’avant. Les seins sont coniques ou triangulaires. Les bras sont seulement esquissés. Les membres inférieurs sont souvent représentés par un triangle pointu, évoquant une cuisse épaisse prolongée par une jambe rarement détaillée ou achevée. La figuration des pieds est exceptionnelle » remarquent les spécialistes. Ces représentations font penser à un culte de la déesse mère. Cette possibilité, en vogue car favorisée par les mouvements féministes, est remise en cause de nos jours, semble-t-il.

Montage monumerique.aquitaine.fr
Pour Yves Coppens, la façon dont les femmes ont été traitées au cours des âges a forcément varié selon les lieux : « depuis l’apparition de l’homme, il y a trois millions d’années, de nombreuses cultures se sont succédé. Les femmes n’ont pas connu le même traitement partout ». Il en est de même aujourd’hui où leurs conditions de vie des femmes changent selon pays et religions. Toutefois, il existe une constante au fil des siècles : la femme a souvent inspiré les artistes.
Source de création, elle n’en a pas moins apporté sa pierre à l’édifice humain. Depuis le début des temps, elle joue un rôle déterminant et façonne la société qui l’entoure. L’homme et la femme sont complémentaires et seul le clonage pourrait changer radicalement cet équilibre.
« La femme préhistorique pratique la cueillette, c’est apport de nourriture non négligeable. Elle a de nombreuses occupations. Toutefois, nous ne pouvons faire que des suppositions sur elle car nous n’avons pas de preuves formelles » remarque Bernard Vandermeersch. Dans ses commentaires, le chercheur se doit de rester dans « le possible, le probable », mais rien ne l’empêche, à titre personnel, d’imaginer une apparence à la créature dont il a découvert le crâne. A quoi pouvait-elle ressembler ? Le morphing, les images de synthèse sont utiles à cette compréhension. Quant à ses sentiments, c’est une autre histoire ! On sait, par exemple, que Pierrette, victime d’une blessure a la tête, a été soignée : cette attitude sous-entend une prise en compte des siens à son égard. Donc une émotion...

En ce 8 mars où la France célèbre la journée de la femme, il est difficile de ne pas penser à cette longue chaîne qui lie la femme moderne à ses ancêtres...

Gravure rupestre
• Visage réalisé par Elisabeth Daynes, spécialiste de reconstitutions de personnages anthropomorphiques. Elle a fourni des mannequins et figures à de nombreux musées du monde entier, notamment des hominidés préhistoriques conçus en silicone par dermoplastie.

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