lundi 25 avril 2016

Saintes : La cerise sur le gâteau !
Chantal Bachour remporte le prix de
la Nouvelle 2016 du Saint-Georges' Club

Chaque année, le Saint Georges' Club, association initiée par l'écrivain Madeleine Chapsal et le regretté Michel Lis, organise un concours de nouvelles. Cette année, le sujet était "Quarante" pour saluer les 40 ans de l'hôtel restaurant du Bois Saint-Georges, établissement cher à Jérôme Emery. Samedi dernier, avait lieu la proclamation des résultats en présence de Claude Gangloff, Claudine Renneteau et des amoureux de la langue française parmi lesquels Véronique Pineau qui écrit de fort beaux poèmes. 
Le premier prix a été décerné à Chantal Bachour pour sa nouvelle "La cerise sur le gâteau". Cette belle histoire commence par un sacré faits divers…

La proclamation des résultats samedi dernier au Bois Saint-Georges
La cerise sur le gâteau

FAITS DIVERS. VENTABREN 9 février 1976

Une petite fille de quatre ans a échappé à la mort grâce à la vivacité de sa grand- mère. Une voiture sans chauffeur, garée place de l’église, a sans raison dévalé la rue commerçante pour fracasser une vitrine et s’encastrer dans la boulangerie du village.
Heureusement pour l’heure, le magasin était vide de client. Seules, la petite, les yeux brillants sur les gâteaux, et sa grand-mère qui, venant de l’arrière boutique, a vu inopinément le véhicule arriver sans bruit et eu le réflexe de tirer la fillette par le bras, évitant ainsi le pire.
Une enquête est en cours pour expliquer les circonstances de l’accident. LE PROVENÇAL

 
RÉUNION du CONSEIL CULTUREL. ROSCOFF 9 février 2016

Notre conseil culturel recevait ce jour M. Laam, invité de grand renom pour ses qualités dynamiques dans le domaine artistique et chargé d’étudier des possibilités de développement de notre ville. Nombreuses idées innovantes. Echanges productifs. Les hypothèses retenues seront publiées dans notre prochain bulletin. LA GAZETTE de BRETAGNE


Là, le journaliste présent à cette soirée se fait discret pour laisser place au narrateur, ce qui va suivre n’entrant pas dans la rubrique des faits divers.
L’ambiance est conviviale, et comme souvent après tout bon rassemblement français du genre, on termine à table.
M. Laam jouxte mesdames Boeckler et Mémet. Tout le monde apprécie le repas, lève son verre avec bonhomie et les discussions s’émancipent, devenant plus privées.
Notre hôte s’enquiert donc poliment de ses jolies voisines, et se penchant vers celle de gauche :
« Ȇtes-vous bretonne, Madame ?
– Oh non, pas du tout ! Je suis de bien loin d’ici ... de Provence !
- Ah?... Vous n’avez pas l’accent, ou vous l’avez perdu peut être ?... en effet, la Provence est
à l’autre bout de la France depuis Roscoff ! J’ai séjourné quelque peu dans votre magnifique région, où j’ai laissé un bien étrange vécu. Mais d’où êtes-vous exactement ?
- Vous n’allez sans doute pas connaître, c’est un petit village vers Aix en Provence...
- Ah ! Aix !? Une ville dynamique et très embellie actuellement. C’est amusant, c’est justement par là que j‘ai séjourné : je faisais un reportage sur la Touchkanie. Vous connaissez ?
Personnellement, non, mais j’en ai beaucoup entendu parler ! - Je logeais dans un hameau tout près de Ventabren, chez une certaine Madame, attendez, c’est très loin... mais je ne peux pas l’avoir oubliée... oui, Mme Lange !
- Simone ?... Mais... c’est incroyable ! Je la connais !
- Oui, c’est ça, Simone ! Et j’ai aussi côtoyé un certain M. Riquet avec qui nous avons passé de grands moments d’échanges très amicaux, un homme fantastique.
- Ça alors ! C’est vraiment extraordinaire ! s’étonne Mme Mémet. Je connais aussi M. Riquet ! Alex ?... Il venait jouer à la pétanque avec mon grand-père ! »
En un instant, tant de hasard rendait le monde tout petit et le temps irréel. Elle commençait à ressentir le genre de trouble qui vous englue avant un grand moment, sans qu’on distingue bien ce qui peut arriver, cependant qu’un pressentiment vous tient fébrilement en alerte ...

Et M. Laam de continuer. « Pendant mon exploration en Touchkanie, j’ai fait une petite escapade dans le village de Ventabren, site magnifique, où il m’est arrivé une aventure assez extraordinaire ! Vous n’allez sans doute pas me croire ! Une histoire de fou ! J’avais tout juste vingt six ans mais ce souvenir est toujours très marqué en moi. J’avais garé ma voiture sur la place de l’église et suis parti visiter ce village fort pentu, marcher un peu dans les ruelles, à la découverte d’une belle chose, d’une rencontre lorsque tout à coup, j’ai entendu brusquement, comme une véritable explosion, un éclat sonore et puissant, violent, fracassant, avec un grand bruit de verre cassé. Incroyable ! »
Mme Mémet serra ses mâchoires, attentive à la suite de l’histoire comme un inspecteur attend les détails avant de conclure, une petite boule en formation dans le fond de sa gorge. Elle mit une main devant sa bouche pour s’empêcher de parler, sans doute...ou pour cacher son trouble, froissant le petit sillon entre ses yeux.

« Puis - continua le charmant monsieur - de retour à l’endroit où j’avais garé ma voiture, plus de voiture ! Pas un chat sur la place... Par contre, un silence inquiétant et des personnes agitées en bas de la rue. Je n’ai pas pris le temps d’analyser pourquoi ma voiture n’était plus là, intrigué par la foule que j’apercevais, sentant qu’il était arrivé quelque chose de grave, peut être en relation avec ce fracas de verre ? J’ai donc couru en bas de la rue vers l’attroupement... et là, un véritable et puissant tsunami dans mes veines et mon sang : c’est mon véhicule qui était dans la vitrine ! J’étais l’auteur du désastre ! Puis la réflexion rapide, tant pis pour ma voiture, tant pis pour la vitrine... Le pire, c’est que j’ai failli tuer une petite fille qui était dans la boulangerie ! J’étais le potentiel tueur !
Lorsque je suis arrivé, elle regardait sa grand-mère avec étonnement en s’agrippant à son tablier. Je la vois encore et la verrai toute ma vie, je crois ! avec un sourire radieux et des yeux brillants qui en disaient long sur le succès de leur survie, leur héroïsme. Elles semblaient ne pas avoir pas eu le temps de réaliser le drame, pas eu le temps d’avoir peur. Par contre, moi si... Je n’ai pas mis une fraction de seconde pour réaliser que j’aurais tout simplement pu tuer quelqu’un. C’est atroce, abominable comme sensation, je peux vous le dire !
J’en tremble encore de vérité. Regardez, les poils s’en dressent sur mes bras rien qu’à cette évocation. Ça me donne invariablement des frissons! Il m’arrive encore d’en faire des cauchemars et de me réveiller en pleine nuit, preuve que je ne suis pas tout à fait guéri de ce traumatisme !
Je me suis donné par la suite plusieurs occasions d’aller voir la boulangère, prendre des nouvelles de la petite, comme le criminel revient sur les lieux du crime ! Elle m’a rassuré à chaque fois : sa petite Emilie allait tout à fait bien. Je lui ai envoyé un petit paquet de temps à autre, mon Dieu, quelle histoire ! J’aurais pu être l’assassin du jour ! »

Mme Mémet n’en peut plus. Son cœur bondit, fond, s’écrase sur les parois de son thorax, s’embrase encore, faisant pression pour sortir de sa cage. Elle a terriblement chaud. Elle est à la fois ahurie, heureuse, agitée, bouleversée, enfin, elle ne sait plus où elle en est, la réalité dépasse l’entendement. Les réflexions se bousculent et la désorientent. Elle sent que ses yeux deviennent brillants, va chercher bien loin sa respiration, pince ses lèvres, puis serrant de sa main le bras de M. Laam, se détend enfin et déclare avec une voix d’une émotion sans nom, qui ne semble pas être la sienne :
« Je connais cette histoire par cœur, je l’ai entendue dans le village des dizaines de fois. Ma grand-mère me l’a beaucoup racontée aussi, en long, en large et en travers. Mais elle n’est pas finie votre histoire, M. Laam, car ce qui est le plus incroyable , c’est ce qui vous arrive aujourd’hui. Là, ce soir, ici-même... quarantième jour de l’année... quarante ans plus tard jour pour jour à l’heure du gâteau, qui nous est offert en l’occurrence pour les quarante ans de ce restaurant. Pourrez-vous y croire ? Je suis ventabrenaise et la petite Emilie... c’est moi ! ».

Touchkanie : république imaginaire du colonel Joriot à Puyricard. A découvrir.
http://e.tournaire.free.fr/sittouch/patouchk/actouchk.html

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