samedi 28 janvier 2017

Cognac : Grâce à des registres des XVe et XVIe siècles, l'historien Jacques Gaillard a étudié la reconstruction de la ville à la Renaissance

« Ces documents sont d'une grande richesse puisqu'ils livrent, au jour le jour, le nom, le prénom et parfois le surnom des travailleurs du bâtiment, la nature et le lieu de leur intervention et le salaire qu'ils ont perçu ».


S'intéressant de longue date à l'archéologie, Jacques Gaillard, professeur d'histoire, est à l'origine de nombreuses fouilles dans la région et de plusieurs expositions, dont l'une sur les potiers de Soubran au Cloître des Carmes. Le temps passant, un sujet s'est imposé : les carrières, qu'elles soient antiques ou en activité. Celles de Thénac bien sûr, mais pas seulement ! Deux livres regroupent le fruit de ses recherches : Les derniers carriers traditionnels du val de Charente et L'exploitation antique de la pierre de taille dans le bassin de la Charente. Pour l'ensemble de ses activités (il est également artiste), l'Académie de Saintonge lui a décerné en 2005 le prix Chanoine Tonnelier. En 2016, un nouveau livre a enrichi la palette de ses publications : "Bâtir à Cognac à la Renaissance". Au départ, conservés aux Archives, cinq registres en parchemin d'environ 250 pages chacun à étudier...
Confidence : il ne compte pas s'arrêter en si bon chemin !

• Jacques Gaillard, de l'extraction de la pierre dans les carrières à la construction, il n'y a qu'un pas ...

L'historiographie montre que ce pas ne fut franchi que depuis seulement quelques décennies. L'archéologie des carrières, avec ses masses de stériles à remuer, a longtemps rebuté les chercheurs, avec en plus l'absence de prestige d'une investigation qui était censée ne conduire qu'à une observation du matériau sans déboucher sur l'art de bâtir. On sait maintenant que dans la plupart des grandes carrières, le carrier, le forgeron, le tourneur, le roulier... se côtoyaient. 
La carrière est donc devenue, par ce lien organique avec le chantier de construction, un objet d'information en soi, l'objet originel de la compréhension du bâti. Il y fallut des pionniers, et en France, ce fut J.-Cl. Bessac pour la Narbonnaise. Aujourd'hui, un bon nombre de régions sont investiguées et nous ne sommes pas en reste, le bassin de la Charente servant de cadre à l'étude de la pierre. La carrière de pierre de taille y est systématiquement prescrite par les procédures de l'archéologie préventive.

• Vous venez donc de publier "Bâtir à Cognac à la Renaissance ". Comment avez-vous eu connaissance des comptes des chantiers publics conservés aux Archives de Cognac ?

Ce sont 5 registres en parchemin d'environ 250 pages chacun, conservés aux Archives municipales, et qui rapportent les comptes de reconstruction de la ville sans discontinuer de 1491 à 1559. Ces archives étaient connues des historiens qui y ont souvent fait allusion, sans en faire pour autant une étude spécifique. Ces documents sont d'une grande richesse puisqu'ils livrent, au jour le jour, le nom, le prénom et parfois le surnom des travailleurs du bâtiment, la nature et le lieu de leur intervention et le salaire qu'ils ont perçu. On y voit donc vivre sur trois générations des communautés de métiers, et cela offre à l'histoire de la construction post-médiévale une information exceptionnelle : l'organisation du travail, les techniques et les outils, les divers métiers et leur hiérarchie, et parfois, au détour d'une ligne de comptes, les bribes d'une histoire humaine...

Quelles étaient les ambitions de Cognac à la Renaissance ? Au sortir de la guerre de Cent Ans, la région était ruinée...

La ville de Cognac avait été érigée en commune par Jean sans Terre en 1215 et, grâce aux taxes perçues sur le trafic de la Charente et sur la lucrative distribution du sel venant de la côte, les échevins organisaient la vie et la défense de leur cité. La guerre de Cent Ans mit fin à cette paisible prospérité provinciale. Cognac, prise et reprise par les Français et les Anglais, malmenée et détruite, était au milieu du XVème siècle vidée de la plupart de ses habitants et incapable d'assurer sa propre défense. Or, sa position sur la Charente, dans ce couloir méridien qui conduit à la Guyenne encore agitée, constitue avec son vieux pont fortifié un verrou stratégique de première importance. Il fallut donc lui donner les moyens d'organiser sa défense dans l'intérêt de tout le comté, et c'est pourquoi Charles VIII, en 1481, dote la ville d'une rente annuelle de 200 livres, somme qui ne cessa d'être augmentée par les rois qui se sont succédé, et notamment François 1er. De nombreuses équipes d'artisans ont alors construit et restauré les ponts, les tours, les murailles et les fossés. Elles ont aussi pavé les routes pour le passage rapide des lourds convois d'affûts. 

Le vieux pont de Cognac, juste avant sa démolition en 1855
• Quels sont les hommes et les architectes qui vont compter dans l'aménagement des grands édifices de Cognac à cette période ?

L'ambition de Cognac, au sortir de la guerre, est donc de contribuer à la défense militaire de l'Angoumois. Pour cela, il faut se relever des ruines : combler les brèches des remparts, créer des boulevards tout au long des murailles, capables de faire face à la nouvelle artillerie des boulets métalliques, renforcer les arches des ponts, remplacer systématiquement les vieux ponts de bois hérités du Moyen Âge par des ponts de pierre. Tous ces travaux sont coordonnés par les échevins de la ville, étroitement surveillés par le comté d'Angoulême, et notamment par "Madame Mère", Louise de Savoie, au nom de son fils, François 1er. Ce sont donc des équipes nombreuses de maîtres maçons et charpentiers qui sont à l'œuvre. Pas encore d'architectes, mais des hommes de terrain prompts à saisir les nouvelles manières de la Renaissance de penser la pierre. Quant au château de Cognac qui a vu naître le jeune François, il a perdu son rôle de forteresse depuis le retour d'Angleterre de Charles de Valois qui en a fait une résidence princière, offrant à la ville de Cognac les fastes d'une vie intellectuelle brillante.

• Quels sont les matériaux utilisés et d'où venaient-ils ?

Les sommes allouées (de 200 passant à 500 livres par an) ne sont pas considérables et les tranches de travaux sont marquées par le souci de l'économie et la recherche optimisée des ressources locales : pierre de Saint-Même transportée par gabares entières jusqu'au port de La Levade à Cognac, bois de vergne issu de la forêt de Vaujompes qui remplace le prestigieux bois de chêne devenu introuvable du fait de sa surexploitation, etc. Le pont de Javrezac, dans cette affaire, est d'autant plus intéressant qu'on connaît tous les hommes de sa construction ex nihilo, de 1538 à 1542, jour après jour, tous les matériaux qui lui furent nécessaires, en nombre, volume et qualité, et qu'aujourd'hui, il est toujours debout. Et l'on ne peut qu'être admiratif de constater que les deux chefs du chantier, le maître-charpentier, Olivier Lévêque, et le maître-maçon Jehan Colin, ont réfléchi ensemble à la manière de réaliser des arches abaissées, inconnues jusque-là dans la région, dites "en anses de paniers des menuisiers", pour éviter l'effet "dos d'âne" des anciens ponts médiévaux. Il faut se rendre à l'évidence que ces artisans qu'on imaginait seulement capables de reproduire les gestes appris par leurs maîtres sur le terrain, étaient sensibles aux nouvelles manières de construire, importées d'Italie et qu'ils voyaient autour d'eux (château de l'Oisellerie, église de Lonzac, etc.) 


Le pont de Javrezac vu de l'amont avec ses avant-becs
• Y a-t-il des anecdotes qui ont retenu votre attention ?

Ma recherche, qui s'est étalée sur plusieurs années, me fit rencontrer les principaux acteurs de la vie culturelle de Cognac. Et parmi eux, le propriétaire d'un objet ô combien symbolique : une statuette en bois du XVII ͤ siècle représentant une vierge à l'enfant. Il était le descendant d'une boulangère du faubourg Saint-Jacques, installée au bout du pont. Quand elle vit, en 1853, la démolition du vieux pont et de la tour Notre-Dame qu'il portait, au profit d'un pont neuf, elle en eut le cœur serré, elle qui en entretenait régulièrement la chapelle. Elle eut alors l'idée d'alimenter gracieusement les ouvriers de son pain chaud, moyennant un souvenir de cette petite chapelle, la statuette qui trônait probablement dans le tabernacle édifié en 1532 "pour mectre lymage de nostredame". La vierge à l'enfant, transmise ainsi de génération en génération, jusque-là inconnue du patrimoine cognaçais, refait ainsi surface.

Vierge à l'enfant de Notre-Dame des Ponts à Cognac
• Envisagez-vous de faire un travail semblable sur d'autres villes, Saintes ou Saint-Jean d'Angély par exemple ?

Les archives communales de Saint-Jean d'Angély ont été récemment transférées aux archives départementales de la Charente-Maritime. Pourquoi pas une étude comparative soutenue par l'idée que Cognac et Saint-Jean d'Angély ont des liens historiques et que leur proximité a pu entraîner l'emploi des mêmes équipes itinérantes de reconstruction ? Les premières enquêtes ont déjà débuté...

• Votre livre a été édité par l'Association des Publications Chauvinoises. S'inscrit-il dans une collection plus vaste et où se le procurer ?

L'Association des Publications Chauvinoises a toujours marqué un intérêt pour le patrimoine picto-charentais, pour les travaux archéologiques régionaux et pour la pierre en particulier. Je leur dois cette relation concertée entre auteur et éditeur et ce souci du livre méticuleusement pensé. De leur collection "Mémoire", j'ai eu le privilège d'être édité à plusieurs reprises :
- Mémoire XXV, 2004 : Les derniers carriers traditionnels du Val de Charente
- Mémoire XL, 2011 : L'exploitation antique de la pierre de taille dans le bassin de la Charente
- Memoria momenti, 38, 2016 : Bâtir à Cognac à la Renaissance
L'adresse : Association des Publications Chauvinoises BP 90064 86300 Chauvigny 

Jacques Gaillard, lors des rencontres de l'archéologie "Saintes non limit", où il a présenté son ouvrage sur Cognac
 • Actualité de Jacques Gaillard

- un site internet : www.pierre-et-carrieres.fr
- la coordination d'un ouvrage collectif : "La pierre traditionnelle des Charentes"
- des travaux archéologiques en cours : la pierre antique de Saintes ; la pierre des remparts de La Rochelle ; la pierre des latrines médiévales de Saint-Emilion.

• Jacques Gaillard est également artiste :  il sculpte la pierre, le bois, réalise des bronzes et des collages de pâte à papier. On lui doit le Christ qui orne la chapelle de Saint-Paul à Clion, sa commune natale.

Jean Gaillard a créé à Jonzac l'association archéologique et historique dont il a été président dans les années 2000. C'est un fidèle de l'Université d'Eté, longtemps animée par 
Jean Glénisson et Pierre Nivet

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