jeudi 12 octobre 2017

Fuyant la guerre en Syrie, Mosa raconte son incroyable "chemin" jusqu’à Montlieu la Garde

Fuir, s’exiler sont les verbes qui viennent à l’esprit face à l’étau qui enserre les populations quand la guerre s’abat sur un pays. Malheureuses victimes d’intérêts qui les dépassent le plus souvent. Mosa et sa famille ont été frappés durement par cette réalité. Avant leur arrivée en France, à Montlieu la Garde, la route a été dure. Malgré la douleur du déracinement, des perspectives se dessinent pour cette famille syrienne, d‘origine kurde, qui a abandonné sa maison d’Alep détruite par les obus.
Récit d’un drame que connaissent des milliers de migrants et qui, dans l’histoire de France, n’est pas sans rappeler l’exode de la Seconde Guerre mondiale, les habitants quittant les villes bombardées…


A gauche, Mosa aux côtés d'Imed, un autre Syrien accueilli à Montendre
Sur les réfugiés, circulent moult commentaires. Des plus acerbes « pourquoi ne restent-ils pas dans leur pays pour défendre les leurs ? » aux plus suspicieux « et s’il se cachait dans leurs rangs des intégristes musulmans ? », aux plus solidaires « ces personnes, qui ont tout perdu, sont en errance ; il est inconcevable de ne pas leur tendre la main ». S’y ajoute la crainte qui envahit certains habitants quand surgissent des étrangers qui n’ont pas les mêmes coutumes et usages qu’eux. A chaque fois, on a beau citer le merveilleux Antoine de Saint-Exupéry : « celui qui diffère de moi, loin de me léser, m'enrichit », le message est parfois difficile à entendre.

Nicolas Morassutti, maire de Montlieu, et Mosa : « offrir des conditions de vie décentes à la famille de Mosa est pour nous une priorité » déclare le premier magistrat
A Montlieu La Garde, le maire Nicolas Morassutti a suivi attentivement l'arrivée de Mosa. Agé de 33 ans, il est marié et père de trois enfants. Après un périple jonché d’embûches où elle aurait pu perdre la vie, la famille s'est installée dans cette commune du Sud Saintonge qui l’a reçue avec fraternité.
Aujourd’hui, Mosa doit reconstruire sa vie et ignore s’il pourra revenir un jour en Syrie où demeurent ses racines et une partie de sa fratrie. Quand la guerre sera finie ? Les combats font toujours rage et les civils sont pris en otage. Ruines et encore des ruines. Combien de morts ? Les télés occidentales annoncent que Daesh a du plomb dans l’aile. Toutefois, la situation est plus compliquée qu’il n’y paraît. On peut toujours pleurer sur la destruction de Palmyre…

La bataille d'Alep a eu lieu de 2012 à 2016. Elle aurait causé la mort d'au moins 21500 civils.

Les origines de la guerre

Né en Syrie, Mosa appartient à la communauté kurde. Jusqu’à une époque récente, il travaillait à Alep dans la menuiserie familiale. Une vie normale. Jusqu’au moment où la guerre a éclaté.
Quelles sont les origines de ce conflit qui n’en finit pas de s’enliser ? Pour les géostratèges, on peut dater la guerre civile en Syrie au printemps 2011 quand éclatent des manifestations d'opposants au dirigeant Bachar Al-Assad. Ces mouvements, à regrouper dans celui, plus vaste, des Printemps arabes, réclament davantage de démocratie. Ils sont réprimés et un conflit armé s'engage entre les deux camps : les pro-Assad et les rebelles au régime. Des mouvements islamistes profitent du désordre pour prendre à leur tour les armes et tenter de s'emparer du pouvoir.
En Syrie, plusieurs forces s'opposent : Les pro-Assad, qui défendent le régime en place ; les rebelles qui souhaitent instaurer un nouveau gouvernement plus ouvert ; les islamistes qui cherchent à prendre le pouvoir, sans pour autant être d'accord entre eux et trois mouvements sont présents Al-Nusra (branche syrienne d’Al-Qaïda), Jaish al Fatah et Daesh (Isis). Au nord, les Kurdes, quant à eux, réclament l'indépendance du Kurdistan.
Dans un premier temps, la coalition que composent les États-Unis, la France et le Royaume-Uni défendent l'opposition syrienne et réclament le départ de Bachar Al-Assad. En face, La Russie et l'Iran le soutiennent. Malgré les rencontres de Munich, la situation demeure hors de contrôle. C’est pourquoi, depuis janvier 2014, on note l’arrêt du recensement des victimes par le haut-commissariat de l'ONU pour les Droits de l'Homme. Conséquence, cette guerre a provoqué  un exode massif des populations, les pays du Proche Orient et l'Europe devant faire face à l'afflux de 10 millions de Syriens dépossédés de tout. Parmi eux, Mosa et sa famille…

Les rues d'Alep, champ de ruines
L'immeuble où vivait la famille de Mosa, entièrement bombardé

Des photos qui se passent de commentaires
Mosa : « nous sommes montés dans l’embarcation, sinon nous étions tués »

Aujourd’hui, Mosa vit à Montlieu et il a accepté de nous raconter son histoire. Courageux, il est déterminé à reconstruire sa vie, pour ses enfants, pour sa femme et aussi pour tous ceux qui sont restés au pays. Comme tous les êtres déracinés, il garde en mémoire les précieux souvenirs du temps d’avant et veut s’en sortir. Son regard franc et volontaire en dit long sur ce qu’il a vécu et les situations qu’il est parvenu à surmonter, comme cette traversée jusqu’à une île grecque où son bateau n’avait plus de gouvernail. Qu’importe, il s’en est sorti avec cette "rage" d’avancer malgré l’adversité. Parce que ce serait trop triste d’abandonner quand on est jeune et que la vie, malgré les aléas, peut réserver d’agréables surprises. Pour faire face, il a d’abord compris qu’il lui fallait maîtriser plusieurs langues. Indispensables pour communiquer. Outre l’arabe, il a appris le turc, l’anglais et maintenant le français.
« A Alep, nous avions une entreprise de mobilier. Ma famille vivait correctement. Nous avions chacun une maison, une voiture, tout le monde travaillait » dit-il. Quand les premières manifestations contre Bachar ont commencé à Deraa, l’inquiétude a monté.
Au fil des mois, l’arrivée des intégristes dans les villes et les villages bouleverse la vie des habitants. Ils dévalisent, rançonnent. « Je revois les morts gisant dans les rues d’Alep. On ne pouvait même pas s’attarder en raison des tireurs isolés, une balle pouvant vous atteindre à n’importe quel moment » confie Mosa. Avec sa famille, il rejoint le village natal situé dans la montagne, à 90 km d’Alep. Les ennuis s’enchaînant, le père de Mosa lui conseille de partir en Turquie. « Le voyage, qui était de 20 euros avant les événements, avait triplé » se souvient-il.

En Turquie où il reste deux ans, il a la chance de trouver un emploi à Adana dans une fabrique de meubles (revenus qu’il complète en vaquant dans les champs). Le Gouvernement lui permet d’avoir accès aux soins médicaux. Néanmoins, l’attitude de certains Turcs envers les Kurdes n’est pas « florissante », c’est pourquoi Mosa est pris à parti par quatre hommes qui le frappent. Avec les siens, il préfère quitter les lieux et fait appel à un passeur. Passeurs qui appartiennent à des mafias locales. D’Izmir, destination l’île de Mytilène. Le coût de la traversée est de 750 euros par personne (la moitié pour les enfants). « Les plus riches ont acheté des gilets de sauvetage ; nous autres des chambres à air au cas où nous tomberions à l’eau ».
Au moment d’embarquer, coup du sort, il n’y a pas de pilote dans le bateau et la barre est cassée. Dans ces conditions, personne ne veut y monter. C’est alors que le passeur se met en colère et pointe une arme sur eux : « nous avons obéi, sinon nous étions tués ». Ils sont 45 : « normalement, cette traversée n’excède pas 30 minutes, elle a duré 4 heures. Au loin, j’apercevais une lumière, source d’espoir. Mon frère a eu très peur car il pensait que son fils, qui avait respiré des émanations d’essence, était mort. Il faisait très froid. Sur la plage, des Allemands nous ont aidé à accoster et pris en charge. J’en ai pleuré de joie. Depuis des mois, je rencontrais enfin des gens bienveillants à notre égard ». On leur donne des vêtements et ils sont hébergés dans des structures qui leur permettent de « se poser ». 

Par la suite, Mosa rejoint la Grèce par une ligne régulière et veut se rendre en Macédoine. Après quelques péripéties, la police les arrête et ils sont conduits dans un centre de la banlieue d’Athènes. A Idomeni, se trouvent des milliers de personnes. « A un moment, j’ai vraiment douté et je voulais rentrer en Turquie à la recherche d’un endroit de paix pour ma famille ».
C’est alors qu’il rencontre Enzo Infantino, Nicolas Regina et bien d'autres encore, membres de l'association Calabria per idomeni ou de la mission italienne la Carovana Solidale Calabrese qui interviennent dans les camps de réfugiés pour leur apporter un appui humanitaire. Peu à peu, Mosa retrouve le moral et plusieurs activités lui sont confiées. Il loge dans une petite maison si étroite qu’il passe son temps « dans les camps à aider les autres ». « Son engagement et sa grande générosité envers ses compatriotes » sont d’ailleurs mentionnés dans un courrier de Giovanni Maiolo de l’association italienne Re.Co.sol.

De nouvelles perspectives de vie

Mosa remercie tous ceux qui l'aident à reconstruire sa vie. Il honore la France, terre d'accueil, sur son téléphone aux couleurs bleu, blanc, rouge !
Il y a quatre mois, sa famille et celle de son frère ont été dirigées vers la France dans le cadre du CADA (accueil des demandeurs d'asile). En Charente-Maritime, ils sont encadrés par Tremplin 17. En effet, le camp d’Idomeni ayant été démantelé, les autorités ont eu à gérer les flux et des groupes ont été sélectionnés par pays.
Après une étape à Nantes, Mosa est arrivé à Montlieu La Garde tandis que son frère, sa femme et ses quatre enfants ont été conduits à Matha. « La sous-préfecture nous a demandés si vous voulons accueillir une famille syrienne. La municipalité a tout de suite été partante. A leur arrivée, ils étaient bien fatigués et un peu inquiets car la France connaît des attentats terroristes et ils avaient peur que des amalgames soient faits à leur sujet. Nous les avons rassurés. Ici, il y a de nombreux bénévoles, dont des enseignants à la retraite, qui leur donnent des cours de français. Aider ces familles chassées de leur terre est une main tendue et pour moi, c’est un engagement personnel » souligne Nicolas Morassuti, maire de Montlieu. Un logement leur a été alloué et deux des enfants de Mosa sont scolarisés.

Aux côtés des collaboratrices du député Raphaël Gérard, Evelyne Delaunay et Maeva Dargaud Tarquin, du maire de Montlieu, Nicolas Morassutti, on reconnaît Mosa et Imed, également d’origine syrienne, accueilli à Montendre depuis un an. S’intégrer à la population, apprendre le français, scolariser les enfants permet à ces familles de s’adapter plus rapidement à leurs nouvelles conditions de vie.
Sa demande d’asile ayant été acceptée, un nouvel horizon s’ouvre à lui. Quand il aura effectué son stage obligatoire de perfectionnement en français (d’une durée de deux mois environ), il pourra chercher officiellement un travail.  « En l’attente, Mosa est actif. Il donne un coup de main aux Restos du cœur et jeudi matin, il a témoigné devant les élèves de 3ème du collège » déclare le premier magistrat qui salue son implication. Afin d’être indépendant, Mosa va acquérir un véhicule qui lui permettra de se déplacer comme dans le passé quand il vivait sereinement en Syrie.
Si la « blessure » est toujours perceptible, l’existence qui s’ouvre à lui devrait lui permettre d’entrevoir l’avenir sous un jour meilleur. Les conditions de vie des réfugiés et les défis qu’ils ont à relever sont des sujets qui lui tiennent à cœur. Il souhaite en parler pour que le public se fasse une idée concrète de ces exils provoqués. La projection du film « Kajin : dov’è la vita ? » au cinéma de Montendre (en décembre) sera une occasion de dialoguer avec lui. En effet, alors qu’elle se trouvait en Grèce, la Carovana Solidale Calabrese a filmé le quotidien des migrants et recueilli leurs témoignages, dont celui de Mosa. Ce document a été projeté récemment au cinéma de Montguyon. Découvrir ce documentaire à Montendre - et pourquoi pas à Jonzac et Saint-Genis - sont des opportunités à saisir pour comprendre les réalités du monde actuel…

Ces populations, qui ont tout perdu, se retrouvent sous des tentes dans des camps...
4,5 millions de réfugiés venant de Syrie se trouvent dans seulement cinq pays du Proche-Orient : la Turquie, le Liban, la Jordanie, l'Irak et l'Égypte. L'Allemagne a accueilli 1,5 millions de réfugiés en 2015 dont la moitié vient de Syrie. La France, quant à elle, a accueilli plus de 10000 Syriens depuis 2011. Le Danemark et la Suède ont rétabli des contrôles à leurs frontières afin de réguler l'afflux de réfugiés.
Les pays du Golfe, dont le Qatar, les Émirats arabes unis, l'Arabie saoudite, le Koweït et Bahreïn, ins que la Russie, le Japon, Singapour, la Corée du Sud n’ont offert aucune place d'accueil pour les réfugiés syriens.

Aujourd'hui, on estime que 10 millions de Syriens ont été déplacés, ce qui représente 45 % de la population syrienne.

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